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XXXVIII
PREFACE

tend par cet acte de l’Ame qui fait paroître les Notions innées, ou par ces Notions qui ſe produiſent elles-mêmes, & ce que c’eſt que cette culture précedente & ces circonſtances requiſes pour que les Notions innées ** Exerantur. ſoient produites, il trouvera, je penſe, qu’excepté qu’il appelle produire des Notions ce que je nomme dans un ſtile plus commun connoître, il y a peu de différence entre ſon ſentiment & le mien ſur cet article, que j’ai raiſon de croire qu’il n’a inſeré mon nom dans ſon Ouvrage que pour avoir le plaiſir de parler obligeamment de moi, car j’avoûë avec des ſentimens d’une véritable reconnoiſſance que par-tout où il a parlé de moi, il l’a fait, auſſi bien que d’autres Ecrivains, en m’honorant d’un tître ſur lequel je n’ai aucun droit.

C’eſt là ce que je jugeai néceſſaire de dire ſur la ſeconde Edition de cet Ouvrage, & voici ce que je ſuis obligé d’ajoûter préſentement.

Le Libraire ſe diſpoſant à publier[1] une Quatriéme Edition de mon Eſſai, m’en donna avis, afin que je puſſe faire les Additions ou les Corrections que je jugerois à propos, ſi j’en avois le loiſir. Sur quoi il ne ſera pas inutile d’avertir le Lecteur, qu’outre pluſieurs corrections que j’ai fait çà & là dans tout l’Ouvrage, il y a un changement dont je croi qu’il eſt néceſſaire de dire un mot dans cet endroit, parce qu’il ſe répand ſur tout le Livre & qu’il importe de le bien comprendre.

On parle fort ſouvent d’Idées claires & diſtinctes : rien n’eſt plus ordinaire que ces termes. Mais quoi qu’ils ſoient communément dans la bouche des hommes, j’ai raiſon de croire que tous ceux qui s’en ſervent, ne les entendent pas parfaitement. Et peut-être n’y a-t-il que quelques perſonnes çà & là qui prennent la peine d’examiner ces termes, juſques à connoître ce qu’eux ou les autres entendent préciſément par-là. C’eſt pourquoi j’ai mieux aimé mettre ordinairement au lieu des mots clair & distinct celui de déterminé, comme plus propre à faire comprendre à mes Lecteurs ce que je penſe ſur cette matiére. J’entens donc par une idée déterminée un certain Objet dans l’Eſprit, & par conſéquent un Objet déterminé, c’eſt-à-dire, tel qu’il y eſt vû & actuellement apperçu. C’eſt là, je penſe, ce qu’on peut commodément appeller une Idée déterminée, lorſque telle qu’elle eſt objectivement dans l’Eſprit en quelque temps que ce ſoit, & qu’elle y eſt, par conſéquent, déterminée, elle eſt attachée & fixée ſans aucune variation à un certain nom ou ſon articulé qui doit être conſtamment le ſigne de ce même objet de l’Eſprit, de cette Idée préciſe & déterminée.

Pour expliquer ceci d’une maniére un peu plus particuliére ; lorſque ce mot déterminé eſt appliqué à une Idée ſimple, j’entens par-là cette ſimple apparence que l’Eſprit a, pour ainſi dire, devant les yeux, ou qu’il aperçoit en ſoi-même lorſque cette Idée eſt dite être en lui. Par le même terme, appliqué à une Idée complexe, j’entens une Idée compoſée d’un nombre déterminé de certaines Idées ſimples, ou d’Idées moins complexes, unies dans cette proportion & ſitua-

  1. C’eſt ſur cette Quatriéme Edition qu’a été faite la prémiere Edition Françoiſe de cet Ouvrage, imprimée en 1700.