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Des Noms des Idées ſimples. Liv. III.

§. 8.Exemple tiré du Mouvement. Ces célèbres vetilles dont on fait tant de bruit dans les Ecoles, ſont venues de ce qu’on n’a pas pris garde à cette différence qui ſe trouve dans nos idées & dans les noms dont nous nous ſervons pour les exprimer, comme il eſt aiſé de voir dans les définitions qu’ils nous donnent de quelque peu d’Idées ſimples. Car les plus grands Maîtres dans l’art de définir, ont été contraints d’en laiſſer la plus grande partie ſans les définir, par la ſeule impoſſibilité qu’ils y ont trouvé. Le moyen, par exemple, que l’Eſprit de l’homme pût inventer un plus fin galimathias que celui qui eſt renfermé dans cette Définition, L’acte d’un Etre en puiſſance entant qu’il eſt en puiſſance ? Un homme raiſonnable, à qui elle ne ſeroit pas connuë d’avance par ſon extrême abſurdité qui l’a renduë ſi fameuſe, ſeroit ſans doute fort embarraſſé de conjecturer quel mot on pourroit ſuppoſer qu’on ait voulu expliquer par-là. Si, par exemple, Ciceron eût demandé à un Flamand ce que c’étoit que beweeginge & que le Flamand lui en eût donné cette explication en Latin, Eſt Actus Entis in potentia quatenus in potentia, je demande ſi l’on pourroit ſe figurer que Ciceron eût entendu par ces paroles ce que ſignifioit le mot de beweeginge ou qu’il eût même pû conjecturer qu’elle étoit l’idée qu’un Flamand avoit ordinairement dans l’Eſprit, & qu’il vouloit faire connoître à une autre perſonne, lorſqu’il prononçoit ** Qui ſignifie en Flamand ce que nous appellons mouvemens, en François. ce mot-là.

§. 9. Nos Philoſophes modernes qui ont tâché de ſe défaire du jargon des Ecoles & de parler intelligiblement, n’ont pas mieux réuſſi à définir les idées ſimples, par l’explication qu’ils nous donnent de leurs cauſes ou par quelque autre voye que ce ſoit. Ainſi les Partiſans des Atomes qui définiſſent le Mouvement, Un paſſage d’un lieu dans un autre, ne font autre choſe que mettre un mot ſynonyme à la place d’un autre. Car qu’eſt-ce qu’un paſſage ſinon un mouvement ? Et ſi l’on leur demandoit, ce que c’eſt que paſſage, comment le pourroient-ils mieux définir que par le terme de mouvement ? En effet, dire qu’un paſſage eſt un mouvement d’un lieu dans un autre, n’eſt-ce pas s’exprimer pour le moins d’une maniére auſſi propre & auſſi ſignificative que de dire, Le mouvement eſt un paſſage d’un lieu dans l’autre ? C’eſt traduire & non pas définir, que de mettre ainſi deux mots de la même ſignification l’un à la place de l’autre. A la vérité, quand l’un eſt mieux entendu que l’autre, cela peut ſervir à faire connoître quelle idée eſt ſignifiée par le terme inconnu ; mais il s’en faut pourtant beaucoup que ce ſoit une définition, à moins que nous ne diſions que chaque mot François qu’on trouve dans un Dictionnaire eſt la définition du mot Latin qui lui répond, & que le mot de mouvement eſt une définition de celui de motus. Que ſi l’on examine bien la définiton que les cartéſiens nous donnent du Mouvement, quand ils diſent que c’eſt l’application ſucceſſive des parties de la ſurface d’un Corps aux parties d’un autre Corps, on trouvera qu’elle n’eſt pas meilleure.

§. 10.Autre exemple tiré de la Lumière. L’Acte de Tranſparent entant que tranſparent, eſt une autre définition que les Peripateticiens ont prétendu donner d’une Idée ſimple, qui n’eſt pas dans le fond plus abſurde que celle qu’ils nous donnent du Mouvement, mais qui paroit plus viſiblement inutile, & ne ſignifier abſolument