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XXXVII
DE L’AUTEUR

ions conſiderées dans ce rapport, de la Loi de la Nature qui eſt la Règle conſtante & inalterable, par laquelle ils doivent juger de la rectitude des mœurs & de leur dépravation, pour leur donner en conſéquence de ce jugement, les dénominations de Vertu ou de Vice. Si M. Lowde eût conſideré cela, il auroit vû qu’il ne pouvoit pas tirer un grand avantage de citer ces paroles dans un ſens que je ne leur ai pas donné moi-même ; & ſans doute qu’il ſe ſeroit épargné l’explication qu’il y ajoûte, laquelle n’étoit pas fort néceſſaire. Mais j’eſpére que cette ſeconde Edition le ſatisfera ſur cet article, & que conſiderant la maniére dont j’exprime à préſent ma penſée, il ne pourra s’empêcher de voir qu’il n’avoit aucun ſujet d’en prendre ombrage.

Quoi que je ſois contraint de m’éloigner de ſon ſentiment ſur le ſujet de ces apprehenſions qu’il étale ſur la fin de ſa Préface, à l’égard de ce que j’ai dit de la Vertu & du Vice, nous ſommes pourtant mieux d’accord qu’il ne penſe, ſur ce qu’il dit dans ſon Chapitre troiſiéme pag. 78.[1] De l’inſcription naturelle & des notions innées. Je ne veux pas lui refuſer le privilége qu’il s’attribuë (pag. 52.) de poſer la Queſtion comme il le trouvera à propos, & ſurtout puiſqu’il la poſe de telle maniére qu’il n’y met rien de contraire à ce que j’ai dit moi-même ; car ſuivant lui, les Notions innées ſont des choſes conditionnelles qui dépendent du concours de pluſieurs autres circonſtances pour que l’Ame les ** Exerat, en Latin. Nous n’avons point à mon avis, de mot François qui exprime exactement la ſignification de ce terme latin. Les Anglois l’ont adopté dans leur Langue, car ils ſe servent du mot exert qui vient du mot Latin exerere & signifie préciſément la même choſe.
Exerere.
faſſe paroître : tout ce qu’il dit en faveur des Notions innées, imprimées, gravées (car pour les Idées innées il n’en dit pas un ſeul mot) ſe réduit enfin à ceci : Qu’il y a certaines Propoſitions qui, quoi qu’inconnuës à l’Ame dans le commencement, dès que l’homme eſt né, peuvent pourtant venir à ſa connoiſſance dans la ſuite par l’aſſiſtance qu’elle tire des Sens extérieurs & de quelque culture précedente, de ſorte qu’elle ſoit certainement aſſûrée de leur vérité, ce qui dans le fond n’emporte autre choſe que ce que j’ai avancé dans mon Prémier Livre. Car je ſuppose que par cet acte qu’il attribuë à l’Ame de † faire paroître ces notions, il n’entend autre choſe que commencer de les connoître : autrement, ce ſera, à mon égard, une expreſſion tout-à-fait inintelligible, ou du moins très-impropre, à mon avis, dans cette occaſion, où elle nous donne le change en nous inſinuant en quelque maniére, que ces Notions ſont dans l’Eſprit avant que l’Eſprit les faſſe paroître, c’eſt-à-dire avant qu’elles lui ſoient connuës : au lieu qu’avant que ces Notions ſoient connuës à l’Eſprit, il n’y a effectivement autre choſe dans l’Eſprit qu’une capacité de les connoître lorſque le concours de ces circonſtances que cet ingenieux Auteur juge néceſſaire, pour que l’Ame faſſe paroitre ces Notions, nous les fait connoître.

Je trouve qu’il s’exprime ainſi à la page 52. Ces Notions naturelles ne ſont pas imprimées de telle ſorte dans l’Ame qu’elles ** Seipſas exerant. ſe produiſent elles-mêmes, néceſſairement (même dans les Enfants & les Imbecilles) ſans aucune aſſiſtance des Sens extérieurs, ou ſans le ſecours de quelque culture précedente. Il dit ici qu’elles ſe produisent elles-mêmes & à la page 78. que c’eſt l’Ame qui les fait paroître. Quand il aura expliqué à lui-même ou aux autres ce qu’il en-

  1. Il y a dans l’Anglois, Natural inſcription. Je croi qu’il eſt bon de conſerver en François cette expreſſion, quelque étrange qu’elle paroiſſe. Comme l’Auteur de cette Objection n’entendoit peut-être pas trop bien ce qu’il vouloit dire par-là, je ne dois pas l’exprimer plus nettement que lui.