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Des Termes généraux. Liv. III.

quoi qu’elle ne ſoit peut-être pas la plus exacte, ſert pourtant aſſez bien à mon préſent deſſein. On peut voir par cet exemple, ce qui a donné occaſion à cette règle, Qu’une Définition doit être compoſée de Genre & de Différence : & cela ſuffit pour montrer le peu de néceſſité d’une telle Règle, ou le peu d’avantage qu’il y a à l’obſerver exactement. Car les Définitions n’étant, comme il a été dit, que l’explication d’un Mot par pluſieurs autres, en ſorte qu’on puiſſe connoître certainement le ſens ou l’idée qu’il ſignifie, les Langues ne ſont pas toûjours formées ſelon les règles de la Logique, de ſorte que la ſignification de chaque terme puiſſe être exactement & clairement exprimée par deux autres termes. L’experience nous fait voir ſuffiſamment le contraire : ou bien ceux qui ont fait cette Règle ont eu tort de nous avoir donné ſi peu de définitions qui y ſoient conformes. Mais nous parlerons plus au long des Définitions dans le Chapitre ſuivant.

§. 11.Ce qu’on appelle Général, & Univerſel eſt un Ouvrage de l’Entendement. Pour retourner aux termes généraux, il s’enſuit évidemment de ce que nous venons de dire, que ce qu’on appelle général & univerſel n’appartient pas à l’exiſtence réelle des choſes, mais que c’eſt un Ouvrage de l’Entendement qu’il fait pour ſon propre uſage, & qui ſe rapporte uniquement aux ſignes, ſoit que ce ſoient des Mots ou des Idées. Les Mots ſont généraux, comme il a été dit, lorſqu’on les employe pour être ſignes d’Idées générales ; ce qui fait qu’ils peuvent être indifferemment appliquez à pluſieurs choſes particuliéres : & les Idées ſont générales, lorſqu’elles ſont formées pour être des repréſentations de pluſieurs choſes particuliéres. Mais l’univerſalité n’appartient pas aux choſes mêmes qui ſont toutes particuliéres dans leur exiſtence, ſans en excepter les mots & les idées dont la ſignification eſt générale. Lors donc que nous laiſſons à part les ** Mots, idées ou choſes. Particuliers ; les Généraux qui reſtent, ne ſont que de ſimples productions de notre Eſprit, dont la nature générale n’eſt autre choſe que la capacité que l’Entendement leur communique, de ſignifier ou de repréſenter pluſieurs Particuliers. Car la ſignification qu’ils ont, n’eſt qu’une relation, qui leur eſt attribuée par l’Eſprit de l’Homme.

§. 12.Les Idées abſtraites ſont les eſſences des Genres & des Eſpèces. Ainſi, ce qu’il faut conſiderer immédiatement après, c’eſt quelle ſorte de ſignification appartient aux Mots généraux. Car il eſt évident qu’ils ne ſignifient pas ſimplement une ſeule choſe particuliere, puiſqu’en ce cas-là ce ne ſeroient pas des termes généraux, mais des noms propres. D’autre part il n’eſt pas moins évident qu’ils ne ſignifient pas une pluralité de choſes, car ſi cela étoit, homme & hommes ſignifieroient la meme choſe ; & la diſtinction des nombres, comme parlent les Grammairiens, ſeroit ſuperfluë & inutile. Ainſi, ce que les termes généraux ſignifient c’eſt une eſpèce particuliére de choſes ; & chacun de ces termes acquiert cette ſignification en devenant ſigne d’une Idée abſtraite que nous avons dans l’Eſprit ; & à meſure que les choſes exiſtantes ſe trouvent conformes à cette idée, elles viennent à être rangées ſous cette domination, ou ce qui eſt la même choſe, à être de cette eſpèce. D’où il paroit clairement que les Eſſences de chaque Eſpèce de choſes ne ſont que ces Idées abſtraites. Car puiſqu’avoir l’eſſence d’une Eſpèce, c’eſt avoir ce qui fait qu’une choſe eſt de cette