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Des Termes généraux. Liv. III.

particuliéres en quoi ils différent, en ne retenant que celles dans leſquelles ils conviennent, & en faiſant de ces idées une nouvelle & diſtincte Idée complexe, à laquelle on donne le nom d’Animal, on a un terme plus général, qui avec l’Homme comprend pluſieurs autres Créatures. Otez après cela, de l’idée d’Animal le ſentiment & le mouvement ſpontanée ; dès-là l’idée complexe qui reſte, compoſée d’idées ſimples de Corps, de vie & de nutrition, devient une idée encore plus générale, qu’on déſigne par le terme Vivant qui eſt d’une plus grande étenduë. Et pour ne pas nous arrêter plus long-temps ſur ce point qui eſt ſi évident par lui-même, c’eſt par la même voye que l’Eſprit vient à ſe former l’idée de Corps, de Subſtance, & enfin d’Être, de Choſe & de tels autres termes univerſels qui s’appliquent à quelque idée que ce ſoit que nous avions dans l’Eſprit. En un mot, tout ce myſtére des Genres & des Eſpèces dont on fait tant de bruit dans les Ecoles, mais qui hors de là eſt avec raiſon ſi peu conſideré, tout ce myſtére, dis-je, ſe réduit uniquement à la formation d’Idées abſtraites, plus ou moins étenduës, auxquelles on donne certains noms. Sur quoi ce qu’il y a de certain & d’invariable, c’eſt que chaque terme plus général ſignifie une certaine idée qui n’eſt qu’une partie de quelqu’une de celles qui ſont contenuës ſous elle.

§. 10.Pourquoi on ſe ſert ordinairement du Genre dans les Définitions. Nous pouvons voir par-là quelle eſt la raiſon pourquoi en définiſſant les mots, ce qui n’eſt autre choſe que faire connoître leur ſignification, nous nous ſervons du Genre, ou du terme général le plus prochain ſous lequel eſt compris le mot que nous voulons définir. On ne fait point cela par néceſſité, mais ſeulement pour s’épargner la peine de compter les différentes idées ſimples que le prochain terme général ſignifie, ou quelquefois peut-être pour s’épargner la honte de ne pouvoir faire cette énumeration. Mais quoi que la voye la plus courte de définir ſoit par le moyen du Genre & de la Différence, comme parlent les Logiciens, on peut douter, à mon avis, qu’elle ſoit la meilleure. Une choſe du moins, dont je ſuis aſſuré, c’eſt qu’elle n’eſt pas l’unique, ni par conſéquent abſolument néceſſaire. Car définir n’étant autre choſe que faire connoître à un autre par des paroles quelle eſt l’idée qu’emporte le mot qu’on définit, la meilleure définition conſiſte à faire le dénombrement de ces idées ſimples qui ſont renfermées dans la ſignification du terme défini ; & ſi au lieu d’un tel dénombrement les hommes ſe ſont accoûtumez à ſe ſervir du prochain terme général, ce n’a pas été par néceſſité, ou pour une plus grande clarté, mais pour abreger. Car je ne doute point que, ſi quelqu’un deſiroit de connoître quelle idée eſt ſignifiée par le mot Homme, & qu’on lui dit que l’Homme eſt une Subſtance ſolide, étenduë, qui a de la vie, du ſentiment, un mouvement ſpontanée, & la faculté de raiſonner, je ne doute pas qu’il n’entendît auſſi bien le ſens de ce mot Homme, & que l’idée qu’il ſignifie ne lui fût pour le moins auſſi clairement connuë, que lorſqu’on le définit un Animal raiſonnable, ce qui par les différentes definitions d’Animal, de Vivant, & de Corps, ſe réduit à ces autres idées dont on vient de voir le dénombrement. Dans l’explication du mot Homme je me ſuis attaché, en cet endroit, à la définition qu’on en donne ordinairement dans les Ecoles, qui