hommes ſe ſervent dans les Relations morales, ſoit que ces Règles ſoient vrayes ou fauſſes. A cette occaſion je remarque ce que c’eſt qui dans le langage de chaque Païs a une dénomination qui répond à ce que nous appellons Vice & Vertu dans le nôtre ; ce qui ne change point la nature des choſes quoi qu’en général les hommes jugent de leurs actions ſelon l’eſtime & les coûtumes du Païs ou de la Secte où ils vivent, & que ce ſoit ſur cette eſtime qu’ils leur donnent telle ou telle dénomination.
Si cet Auteur avoit pris la peine de reflêchir ſur ce que j’ai dit pag. 36. §. 18. & 283. §. 13, 14, 15. & 287. §. 20. il auroit appris ce que je penſe de la nature éternelle & inalterable du Juſte et de l’Injuſte, & ce que c’eſt que je nomme Vertu & Vice : & s’il eût pris garde que dans l’endroit qu’il cite, je rapporte ſeulement comme un point de fait, ce que c’eſt que d’autres appellent Vertu & Vice, il n’y auroit pas trouvé matiére à aucune cenſure conſiderable. Car je ne croi pas me mécompter beaucoup en diſant qu’une des Règles qu’on prend dans ce Monde pour fondement ou meſure d’une Relation Morale, c’eſt l’eſtime & la reputation qui eſt attachée à diverſes ſortes d’actions en differentes Sociétez d’hommes en conſéquence dequoi ces actions ſont appelées Vertus & Vices : & quelque fond que le ſavant M. Lowde faſſe ſur ſon vieux Dictionnaire Anglois, j’oſe dire (ſi j’étois obligé d’en appeller à ce Dictionnaire) qu’il ne lui enſeignera nulle part, que la même action n’eſt pas autoriſée dans un endroit du Monde ſous le nom de Vertu, & diffamé dans un autre endroit où elle paſſe pour Vice & en porte le nom. Tout ce que j’ai fait, ou qu’on peut mettre ſur mon compte pour en conclurre que je change le Vice en Vertu & la Vertu en Vice, c’eſt d’avoir remarqué que les hommes impoſent les noms de Vertu & de Vice ſelon cette règle de reputation. Mais le bon homme fait bien d’être aux aguets ſur ces ſortes de matiéres. C’eſt un emploi convenable à sa Vocation. Il a raison de prendre l’allarme à la ſeule vûë des expreſſions qui priſes à part & en elles-mêmes peuvent être suspectes & avoir quelque choſe de choquant.
C’eſt en conſideration de ce zèle permis à un homme de ſa Profeſſion que je l’excuſe de citer, comme il fait, ces paroles de mon Livre (pag. 282. §. 11). « Les docteurs inſpirez n’ont pas même fait difficulté dans leurs exhortations d’en appeller à la commune reputation ; Que toutes les choſes qui ſont aimables, dit S. Paul, que toutes les choſes qui ſont de bonne renommée, s’il y a quelque vertu & quelque louange, penſez à ces choſes, Phil. Ch. IV. vſ. 8. ſans prendre connoiſſance de celles-ci qui précedent immédiatement & qui leur ſervent d’introduction », Ce qui fit que parmi la dépravation même des mœurs, les véritables bornes de la Loi de Nature qui doit être la Régle de la Vertu & du Vice, furent aſſez bien conſervées ; de ſorte que les Docteurs inſpirez n’ont pas même fait difficulté &c. Paroles qui montrent viſiblement, auſſi bien que le reſte du Paragraphe que je n’ai pas cité ce paſſage de S. Paul, pour prouver que la reputation & la coutume de chaque Société particuliére conſiderée en elle-même ſoit la règle générale de ce que les hommes appellent Vertu & Vice par tout le Monde, mais pour faire voir que, ſi cette coutume étoit effectivement la règle de la Vertu & du Vice, cependant pour les raiſons que je propoſe dans cet endroit, les hommes pour l’ordinaire ne s’éloigneroient pas beaucoup dans les dénominations qu’ils donneroient à leurs