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Des Vrayes & des Fauſſes Idées. Liv. II.

peut dire qu’il a une fauſſe idée complexe, tout ainſi que lorſqu’il joint à ces autres idées ſimples l’idée d’une fixité parfaite & abſoluë. Car l’idée complexe de l’or étant compoſée, à ces deux égards, d’Idées ſimples qui ne ſe trouvent point enſemble dans la Nature, on peut l’appeller une fauſſe idée. Mais s’il exclut entiérement de l’idée complexe qu’il ſe forme de ce Metal, celle de la fixité, ſoit en ne l’y joignant pas actuellement, ou la ſéparant, dans ſon Eſprit, de tout le reſte ; on doit regarder, à mon avis, cette idée complexe plûtôt comme incomplete & imparfaite que comme fauſſe : puiſque, bien qu’elle ne contienne point toutes les Idées ſimples qui ſont unies dans la Nature, elle ne joint enſemble que celles qui exiſtent réellement enſemble.

§. 19.La Verité & la Fauſſeté ſuppoſent toûjours affirmation ou negation. Quoi que pour m’accommoder au Langage ordinaire, j’aye montré en quel ſens & ſur quel fondement nos Idées peuvent être quelquefois vrayes ou fauſſes ; cependant ſi nous voulons examiner la choſe de plus près dans tous les cas où quelque idée eſt appellée vraye ou fauſſe, nous trouverons que c’eſt en vertu de quelque jugement que l’Eſprit fait, ou eſt ſuppoſé faire, qu’elle eſt vraye ou fauſſe. Car la verité ou la fauſſeté n’étant jamais ſans quelque affirmation ou negation, expreſſe ou tacite, elle ne ſe trouve qu’où des ſignes ſont joints ou ſéparez, ſelon la convenance ou la diſconvenance des choſes qu’ils repréſentent. Les ſignes dont nous nous ſervons principalement, ſont ou des Idées ou des Mots, avec quoi nous formons des Propoſitions mentales ou verbales. La vérité conſiſte à unir ou à ſéparer ces ſignes, ſelon que les choſes qu’ils repréſentent, conviennent ou diſconviennent entre elles ; & la Fauſſeté conſiſte à faire tout le contraire, comme nous le ferons voir plus au long dans la ſuite de cet Ouvrage.

§. 20.Les Idées conſiderées en elles-mêmes ne ſont ni vrayes ni fauſſes. Donc, nulle que nous ayons dans l’Eſprit, ſoit qu’elle ſoit conforme ou non à l’exiſtence réelle des choſes, ou à des Idées qui ſont dans l’Eſprit des autes hommes, ne ſauroit par cela ſeul proprement appellée fauſſe. Car ſi ces repréſentations ne renferment rien que ce qui exiſte dans les choſes extérieures, elles ne ſauroient paſſer pour fauſſes, puiſque ce ſont de juſtes repréſentations de quelque choſe : & ſi elles contiennent quelque choſe qui differe de la réalité des Choſes, on ne peut pas dire proprement que ce ſont de fauſſes repréſentations ou idées de Choſes qu’elles ne repréſentent point. Quand eſt-ce donc qu’il y a de l’erreur & de la fauſſeté ? Le voici en peu de mots.

§. 21.En quel cas elles ſont fauſſes.
Prémier cas.
Prémiérement, lorſque l’Eſprit ayant une idée, juge & conclut qu’elle eſt la même que celle qui eſt dans l’Eſprit des autres hommes, exprimée par le même nom ; ou qu’elle répond à la ſignification ou définition ordinaire & communément reçuë de ce Mot, lorſqu’elle n’y répond pas effectivement : mépriſe qu’on commet le plus ordinairement à l’égard des Modes mixtes, quoi qu’on y tombe auſſi à l’égard d’autres Idées.

§. 22.Second cas. En ſecond lieu, quand l’Eſprit s’étant formé une idée complexe, compoſée d’une telle collection d’Idée ſimple que la Nature ne mit jamais enſemble, il juge qu’elle s’accorde avec une eſpéce de Créatures réellement exiſtantes, comme quand il joint la peſanteur de l’Etain, à la couleur, à la fuſibilité, & à la fixité de l’Or.