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Des Vrayes & des Fauſſes Idées. Liv. II.

autre choſe que cette marque de diſtinction qui eſt dans un Souci & que nous ne pouvons diſcerner que par le moyen de nos yeux, en quoi qu’elle conſiſte, ce que nous ne ſommes pas capables de connoître diſtinctement, & qui peut-être nous ** Voy. ci-deſſus, chap. XXIII. §. 12. ſeroit moins utile, ſi nous avions des facultez capables de nous faire diſcerner la contexture des parties d’où dépend cette couleur.

§. 15.Quand bien l’idée qu’un homme a du jaune ſeroit différente de celle qu’un autre en a. Nos Idées ſimples ne devroient pas non plus être ſoupçonnées d’aucune fauſſeté, quand bien il ſeroit établi en vertu de la différente ſtructure de nos Organes, Que le même Objet dût produire en même temps différentes idées dans l’Eſprit de différentes perſonnes, ſi par exemple, l’idée qu’une Violette produit par les yeux dans l’Eſprit d’un homme, étoit la même que celle qu’un Souci excite dans l’Eſprit d’un autre homme, & au contraire. Car comme cela ne pourroit jamais être connu, parce que l’Ame d’un homme ne ſauroit paſſer dans le Corps d’un autre homme pour voir quelles apparences ſont produites par ces organes, les Idées ne ſeroient point confonduës par-là, non plus que les noms ; & il n’y auroit aucune fauſſeté dans l’une ou l’autre de ces choſes. Car tous les Corps qui ont la contexture d’une Violette venant à produire conſtamment l’idée qu’il appelle bleuatre ; & ceux qui ont la contexture d’un Souci ne manquant jamais de produire l’idée qu’il nomme auſſi conſtamment jaune, quelles que fuſſent les apparences qui ſont dans ſon Eſprit, il ſeroit en état de diſtinguer auſſi régulierement les choſes pour ſon uſage par le moyen de ces apparences, de comprendre, & de déſigner ces diſtinctions marquées par les noms de bleu & de jaune, que ſi les apparences ou idées de ces deux Fleurs excitent dans ſon Eſprit, étoient exactement les mêmes que les idées qui ſe trouvent dans l’Eſprit des autres hommes. J’ai néanmoins beaucoup de penchant à croire que les Idées ſenſibles qui ſont produites par quelque objet que ce ſoit, dans l’Eſprit de différentes perſonnes, ſont pour l’ordinaire fort ſemblables. On peut apporter, à mon avis, pluſieurs raiſons de ce ſentiment : mais ce n’eſt pas ici le lieu d’en parler. C’eſt pourquoi ſans engager mon Lecteur dans cette diſcuſſion, je me contenterai de lui faire remarquer, que la ſuppoſition contraire, en cas qu’elle pût être prouvée, n’eſt pas d’un grand uſage, ni pour l’avancement de nos connoiſſances, ni pour la commodité de la vie, & qu’ainſi il n’eſt pas néceſſaire que nous nous tourmentions à l’examiner.

§. 16.Les Idées ſimples ne peuvent être fauſſes par rapport aux choſes extérieures, & pourquoi. De tout ce que nous venons de dire ſur nos Idées ſimples, il s’enſuit évidemment, à mon avis, Qu’aucune de nos Idées ſimples ne peut être fauſſe par rapport aux choſes qui exiſtent hors de nous. Car la vérité de ces apparences ou perceptions qui ſont dans notre Eſprit, ne conſtituant, comme il a été dit, que dans ce rapport qu’elles ont à la puiſſance que Dieu a donnée aux Objets extérieurs de produire de telles apparences en nous par le moyen de nos Sens ; & chacune de ces apparences étant dans l’Eſprit, telle qu’elle eſt, conforme à la puiſſance qui la produit, & qui ne repréſente autre choſe, elle ne peut être fauſſe à cet égard, c’eſt-à-dire entant qu’elle ſe rapporte à un tel Patron. Le bleu ou le jaune, le doux ou l’amer, ne ſauroient être dans des Idées fauſſes. Ce ſont des perceptions dans l’Eſprit