Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
289
Des Idées claires & obſcures, diſtinctes & confuſes. Liv. II.

çuës. Car pour revenir encore aux Objets viſibles qui peuvent nous aider à comprendre cette matiére ; ſi les organes ou les facultez de la Perception, ſemblables à de la Cire durcie par le froid, ne reçoivent pas l’impreſſion du Cachet, en conſéquence de la preſſion qui ſe fait ordinairement pour en tracer l’empreinte, ou ſi ces organes ne retiennent pas bien l’empreinte du cachet, quoi qu’il ſoit bien appliqué, parce qu’ils reſſemblent à de la Cire trop molle où l’impreſſion ne ſe conſerve pas long-temps, ou enfin parce que le ſeau n’eſt pas appliqué avec toute la force néceſſaire pour faire une impreſſion nette & diſtincte, quoi que d’ailleurs la Cire ſoit diſpoſée comme il faut pour recevoir tout ce qu’on y voudra imprimer, dans tous ces cas l’impreſſion du ſeau ne peut qu’être obſcure. Je ne croi pas qu’il ſoit néceſſaire d’en venir à l’application pour rendre cela plus évident.

§. 4.Ce que c’eſt qu’une idée diſtincte & confuſe. Comme une Idée claire eſt celle dont l’Eſprit a une pleine & évidente perception, telle qu’elle eſt quand il la reçoit d’un Objet extérieur qui opere dûement ſur un organe bien diſpoſé ; de même une idée diſtincte eſt celle où l’Eſprit apperçoit une difference qui la diſtingue de toute autre idée : & une idée confuſe eſt celle qu’on ne peut pas ſuffiſamment diſtinguer d’avec une autre, de qui elle doit être différente.

§. 5.Objection. Mais, dira-t-on, s’il n’y a d’Idée confuſe que celle qu’on ne peut pas ſuffiſamment diſtinguer d’avec une autre de qui elle doit être differente, il ſera bien difficile de trouver aucune idée confuſe : car quoi que puiſſe être une certaine idée, elle ne peut être que telle qu’elle eſt apperçuë par l’Eſprit ; & cette même perception la diſtingue ſuffiſamment de toutes autres idées qui ne peuvent être autres, c’eſt-à-dire différentes, ſans qu’on s’apperçoive qu’elles le ſont. Par conſéquent, nulle idée ne peut être dans l’incapacité d’être diſtinguée d’une autre de qui elle doit être différente, à moins que vous ne la veuillez ſuppoſer différente d’elle-même, car elle eſt évidemment différente de toute autre.

§. 6.La confuſion des Idées ſe rapporte aux noms qu’on leur donne. Pour lever cette difficulté & trouver le moyen de concevoir au juſte ce que c’eſt qui fait la confuſion qu’on attribuë aux Idées, nous devons conſiderer que les choſes rangées ſous certains noms diſtincts ſont ſuppoſées aſſez différentes pour être diſtinguées, en ſorte que chaque eſpèce puiſſe être déſignée par ſon nom particulier, & traitée à part dans quelque occaſion que ce ſoit : & il eſt de la derniére évidence qu’on ſuppoſe que la plus grande partie des noms différens ſignifient des choſes différentes. Or chaque Idée qu’un homme a dans l’Eſprit, étant viſiblement ce qu’elle eſt, & diſtincte de toute autre Idée d’elle-même ; ce qui la rend confuſe, c’eſt lorsqu’elle eſt telle, qu’elle peut être auſſi bien déſignée par un autre nom que par celui dont on ſe ſert pour l’exprimer, ce qui arrive lorsqu’on néglige de marquer la différence qui conſerve de la diſtinction entre les choſes qui doivent être rangées ſous ces deux différens noms, & qui fait que quelques-unes appartiennent à l’un de ces Noms, & quelques autres à l’autre & dès-lors la diſtinction qu’on s’étoit propoſé de conſerver par le moyen de ces différens Noms, eſt entiérement perduë.

§. 7.Défauts qui cauſent la confuſion des idées. Voici, à mon avis, les principaux défauts qui cauſent ordinairement cette confuſion.