Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
285
Des Relations Morales. Liv. II.

rens noms ſelon les divers rapports qu’il a avec la Loi, la diſtinction eſt auſſi facile à obſerver que dans les Subſtances, où un ſeul nom, par exemple celui d’Homme, eſt employé pour ſignifier la choſe même ; & un autre comme celui de Père pour exprimer la Relation.

§. 16.La dénomination des actions nous trompe ſouvent. Mais parce que ſort ſouvent l’idée poſitive d’une action & celle de ſa relation morale, ſont compriſes ſous un ſeul nom, & qu’un même terme eſt employé pour exprimer le Mode ou l’Action, & ſa rectitude ou ſon obliquité morale ; on reflêchit moins ſur la Relation même, & fort ſouvent on ne met aucune diſtinction entre l’idée poſitive de l’Action & le rapport qu’elle a à une certaine Règle. En confondant ainſi ſous un même nom ces deux conſiderations diſtinctes, ceux qui ſe laiſſent trop aiſément préoccuper par l’impreſſion des ſons, & qui ſont accoûtumez à prendre les mots pour des choſes, s’égarent ſouvent dans les jugemens qu’ils font des Actions. Par exemple, boire du vin ou quelque autre liqueur forte juſqu’à en perdre l’uſage de la Raiſon, c’eſt ce qu’on appelle proprement s’enyvrer : mais comme ce mot ſignifie auſſi dans l’uſage ordinaire la turpitude morale qui eſt dans l’action par oppoſition à la Loi, les hommes ſont portez à condamner tout ce qu’ils entendent nommer yvreſſe, comme une action mauvaiſe & contraire à la Loi Morale. Cependant s’il arrive à un homme d’avoir le cerveau troublé pour avoir bû une certaine quantité de vin qu’un Médecin lui aurait preſcrit pour le bien de ſa ſanté, quoi qu’on puiſſe donner proprement le nom d’yvreſſe à cette action, à la conſiderer comme le nom d’un tel Mode Mixte, il eſt viſible que conſiderée par rapport à la Loi de Dieu & dans le rapport qu’elle a avec cette ſouveraine Règle, ce n’eſt point un péché ou une transgreſſion de la Loi, bien que le mot d’yvreſſe emporte ordinairement une telle idée.

§. 17.Les Relations ſont innombrables. En voilà aſſez ſur les actions humaines conſiderées dans la relation qu’elles ont à la Loi, & que je nomme pour cet effet des Relations Morales.

Il faudroit un Volume pour parcourir toutes les eſpèces de Relations. On ne doit donc pas attendre que je les étale ici toutes. Il ſuffit pour mon préſent deſſein de montrer par celles qu’on vient de voir, quelles ſont les Idées que nous avons de ce qu’on nomme Relation, ou Rapport : conſideration qui eſt d’une ſi vaſte étenduë, ſi diverſe, & dont les occaſions ſont en ſi grand nombre (car il y en a autant qu’il peut y avoir d’occaſions de comparer les choſes l’une à l’autre) qu’il n’eſt par fort aiſé de les reduire à des règles préciſes, ou à certains chefs particuliers. Celles dont j’ai fait mention, ſont, je croi, des plus conſiderables & peuvent ſervir à faire voir d’où c’eſt que nous recevons nos idées des Relations, & ſur quoi elles ſont fondées. Mais avant que de quitter cette matiére, permettez-moi de déduire de ce que je viens de dire, les obſervations ſuivantes.

§. 18.Toutes les Relations ſe terminent à des Idées ſimples. La prémiére eſt, qu’il eſt évident que toute Relation ſe termine à ces Idées ſimples que nous avons reçu par Senſation ou par Reflexion, que c’en eſt le dernier fondement ; de ſorte que ce que nous avons nous-mêmes dans l’Eſprit en penſant, (ſi nous penſons effectivement à quelque choſe, ou qu’il y ait quelque ſens à ce que nous penſons) tout ce qui eſt l’objet de