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Des Relations Morales. Liv. II.

Meurtre. Si nous l’épluchons exactement & que nous examinions toutes les idées particulières qu’elle renferme, nous trouverons qu’elles ne ſont autre choſe qu’un amas d’Idées ſimples qui viennent de la Reflexion ou de la Senſation, (car prémiérement par la Reflexion que nous faiſons ſur les opérations de notre Eſprit nous avons les Idées de vouloir, de déliberer, de réſoudre par avance, de ſouhaiter du mal à un autre, d’être mal intentionné contre lui, comme auſſi les idées de vie ou de perception & de faculté de ſe mouvoir. La Senſation en ſecond lieu nous fournit un aſſemblage de toutes les idées ſimples & ſenſibles qu’on peut découvrir dans un homme, & d’une action particuliére par où nous détruiſons la perception & le mouvement dans un tel homme ; toutes leſquelles idées ſimples ſont compriſes dans le mot de Meurtre. Selon que je trouve que cette collection d’Idées ſimples s’accorde ou ne s’accorde pas avec l’eſtime générale dans le Païs où j’ai été élevé, & qu’elle y eſt jugée par la plûpart digne de louange ou de blâme, je la nomme une action vertueuſe ou vicieuſe. Si je prens pour règle la Volonté d’un ſuprême & inviſible Légiſlateur, comme je ſuppoſe en ce cas-là que cette action eſt commandée ou défenduë de Dieu, je l’appelle bonne ou mauvaiſe, un Péché ou un Devoir ; & ſi j’en juge par rapport à la Loi Civile, à la Règle établie par le pouvoir Légiſlatif du Païs, je dis qu’elle eſt permiſe ou non permiſe, qu’elle eſt criminelle, ou non criminelle. De ſorte que d’où nous prenions la règle des Actions Morales, de quelque meſure que nous nous ſervions pour nous former des Idées des Vertus ou des Vices, les Actions morales ne ſont compoſées de la Senſation ou de la Reflexion ; & leur rectitude ou obliquité conſiſte dans la convenance ou la diſconvenance qu’elles ont avec des modelles preſcrit par quelque Loi.

§. 15.Ce qu’il y a de moral dans les Actions eſt un rapport des Actions à ces Règles-là. Pour avoir des idées juſtes des Actions Morales, nous devons conſiderer ſous ces deux égards. Prémiérement, entant qu’elles ſont chacune à part & en elles-mêmes compoſées de telle ou telle collection d’Idées ſimples. Ainſi, l’Yvrognerie ou le Menſonge renferment tel ou tel amas d’Idées ſimples que j’appelle Modes Mixtes ; & en ce ſens ce ſont des Idées tout autant poſitives & abſoluës que l’action d’un Cheval qui boit ou d’un Perroquet qui parle. En ſecond lieu, nos actions ſont conſiderées comme bonnes, mauvaiſes, ou indifférentes, & à cet égard elles ſont relatives : car c’eſt leur convenance ou diſconvenance avec quelque Règle, qui les rend régulières ou irréguliéres, bonnes ou mauvaiſes ; & ce rapport s’étend auſſi loin que s’étend la comparaiſon qu’on fait de ces Actions avec une certaine Règle, & que la dénomination qui leur eſt donnée en vertu de cette comparaiſon. Ainſi l’action de défier & de combattre un homme, conſiderée comme un certain mode poſitif, ou une certaine eſpèce d’action diſtinguée de toutes les autres par des idées qui lui ſont particuliéres, s’appelle Duel : laquelle action conſiderée par rapport à la Loi de Dieu, mérite le nom de péché, par rapport à la Loi de la Coûtume paſſe en certains Païs pour une action de valeur & de vertu ; & par rapport aux Loix municipales de certains Gouvernemens eſt un crime capital. Dans ce cas, lorſque le Mode poſitif a diffé-