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Des Relations Morales. Liv. II.

ceux qu’ils fréquentent, ſans ſe mettre beaucoup en peine des Loix de Dieu ou de celles du Magiſtrat. Pour les peines qui ſont attachées à l’infraction des Loix de Dieu, quelques-uns, & peut-être la plupart y font rarement de ſerieuſes réflexions ; & parmi ceux qui y penſent, il y en a pluſieurs qui ſe figurent à meſure qu’ils violent cette Loi, qu’ils ſe reconcilieront un jour avec celui qui en eſt l’Auteur : & à l’égard des châtimens qu’ils ont à craindre de la part des Loix de l’Etat, ils ſe flattent ſouvent de l’eſperance de l’impunité. Mais il n’y a point d’homme qui venant à faire quelque choſe de contraire à la coûtume & aux opinions de ceux qu’il fréquente, & à qui il veut ſe rendre recommandable, puiſſe éviter la peine de leur cenſure & de leur dédain. De dix mille hommes il ne s’en trouvera pas un ſeul qui aît aſſez de force & d’inſenſibilité d’eſprit, pour pouvoir ſupporter le blâme & le mépris continuel de ſa propre Cotterie. Et l’homme qui peut être ſatisfait de vivre conſtamment décredité & en diſgrace auprès de ceux-là même avec qui il eſt en ſocieté, doit avoir une diſpoſition d’eſprit fort étrange, & bien différente de celle des autres hommes. Il s’eſt trouvé bien des gens qui ont cherché la ſolitude, & qui s’y ſont accoûtumez : mais perſonne à qui il ſoit reſté quelque ſentiment de ſa propre nature, ne peut vivre en ſocieté, continuellement dédaigné & mépriſé par ſes Amis & par ceux avec qui il converſe. Un fardeau ſi peſant eſt au deſſus des forces humaines ; & quiconque peut prendre plaiſir à la compagnie des hommes, & ſouffrir pourtant avec inſenſibilité le mépris & le dédain de ſes compagnons, doit être un compoſé bizarre de contradictions abſolument incompatibles.

§. 13.Trois Règles du Bien moral & du Mal moral. Voilà donc les trois Loix auxquelles les Hommes rapportent leurs actions en différentes maniéres, la Loi de Dieu, la Loi des Sociétez Politiques, & la Loi de la Coûtume ou la Cenſure des Particuliers. Et c’eſt par la conformité que les actions ont avec l’une de ces Loix que les hommes ſe règlent quand ils veulent juger de la rectitude morale de ces actions, & les qualifier bonnes ou mauvaises.

§. 14. Soit que la Règle à laquelle nous rapportons nos actions volontaires comme à une pierre-de-touche par où nous puiſſions les examiner, juger de leur bonté, & leur donner, en conſéquence de cet examen, un certain nom qui eſt comme la marque du prix que nous leur aſſignons, ſoit, dis-je, que cette règle ſoit prise de la Coûtume du Païs ou de la volonté d’un Légiſlateur, l’Eſprit peut obſerver aiſément le rapport qu’une action a avec cette Règle, & juger ſi l’action lui eſt conforme ou non. Et par-là il a une notion du Bien ou du Mal moral qui eſt la conformité ou la non-conformité d’une action avec cette Règle, qui pour cet effet eſt ſouvent appellée Rectitude morale. Or comme cette Règle n’eſt qu’une collection de différentes Idées ſimples, s’y conformer n’eſt autre choſe que diſpoſer l’action de telle ſorte que les Idées ſimples qui la compoſent, puiſſent correſpondre à celle que la Loi exige. Par où nous voyons comment les Etres ou Notions morales ſe terminent à ces Idées ſimples que nous recevons par Senſation ou par Reflexion, & qui en ſont le dernier fondement. Conſiderons par exemple l’idée complexe que nous exprimons par le mot de