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Des Relations Morales. Liv. II.

2. cap. 20. à quoi il ajoûte immédiatement après, ([1]) Qu’il ne prétend exprimer par tous ces noms d’honnêteté, de louange, de dignité, & d’honneur, qu’une ſeule & même choſe. Tel étoit le langage des Philoſophes Payens qui ſavoient fort bien en quoi conſiſtoient les notions qu’ils avoient de la Vertu & du Vice. Et bien que les divers temperamens, l’éducation, les coûtumes, les maximes, & les intérêts de différentes ſortes d’hommes fuſſent peut-être cauſe que ce qu’on eſtimoit dans un Lieu, étoit cenſuré dans un autre ; & qu’ainſi les vertus & les vices changeaſſent en différentes Sociétez, cependant quant au principal, c’étoient pour la plûpart les mêmes par-tout. Car comme rien n’eſt plus naturel que d’attacher l’eſtime & la réputation à ce que chacun reconnoît lui être avantageux à lui-même, & de blâmer & de décrediter le contraire ; l’on ne doit pas être ſurpris que l’eſtime & le deshonneur, la vertu & le vice ſe trouvaſſent par-tout conformes, pour l’ordinaire, à la Règle invariable du Juſte & de l’Injuſte, qui a été établie par la Loi de Dieu, rien dans ce Monde ne procurant & l’aſſûrant le Bien général du Genre Humain d’une maniére ſi directe & ſi viſible que l’obeïſſance aux Loix que Dieu a impoſées à l’Homme, & rien au contraire n’y cauſant tant de miſere & de confuſion que la négligence de ces mêmes Loix. C’eſt pourquoi à moins que les hommes n’euſſent renoncé tout-à-fait à la Raiſon, au Sens commun, & à leur propre intérêt, auquel ils ſont ſi conſtamment devouez, ils ne pouvoient pas en général ſe méprendre juſques à ce point que de faire tomber leur eſtime, peu étant parvenus à ce dégré de corruption, de ne pas condamner, du moins dans les autres, les fautes dont ils étoient eux-mêmes coupables : ce qui fit que parmi la dépravation même des mœurs, les veritables bornes de la Loi de Nature qui doit être la Règle de la Vertu & du Vice, furent aſſez bien conſervées, de ſorte que les Docteurs inſpirez n’ont pas même fait difficulté dans les exhortations d’en appeller à la commune reputation : Que toutes les choſes qui ſont aimables, dit S. Paul, que toutes les choſes qui ſont de bonne renommée, s’il y a quelque vertu & quelque louange, penſez à ces choſes. Philip. Ch. IV. vs. 8.

§. 12.Ce qui fait valoir cette derniere Loi c’eſt la loûange & le blâme. Je ne ſai ſi quelqu’un ira ſe figurer que j’ai oublié la notion que je viens d’attacher au mot de Loi, lorſque je dis que la Loi par laquelle les hommes jugent de la Vertu & du Vice, n’eſt autre choſe que le conſentement de ſimples Particuliers, qui n’ont pas aſſez d’autorité pour faire une Loi, & ſur-tout, puiſque ce qui eſt ſi néceſſaire & ſi eſſentiel à une Loi leur manque, je veux dire la puiſſance de la faire valoir. Mais je croi pouvoir dire que quiconque s’imagine que l’approbation & le blâme ne ſont pas de puiſſans motifs pour engager les hommes à ſe conformer aux opinions & aux maximes de ceux avec qui ils converſent, ne paroît pas fort bien inſtruit de l’Hiſtoire du Genre Humain, ni avoir pénétré fort avant dans la nature des hommes, dont il trouvera que la plus grande partie ſe gouverne principalement, pour ne pas dire uniquement, par la Loi de la Coûtume ; d’où vient qu’ils ne penſent qu’à ce qui peut leur conſerver l’eſtime de

  1. Hice ego pluribus nominibus unam rem declargri volo.