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Des Relations Morales. Liv. II.

tions ſont établies ſur la communauté d’un même ſang auquel ils participent en différens dégrez ; Compatriotes, c’eſt-à-dire, ceux qui ſont nez dans un même Païs. Et ces Relations, je les nomme Naturelles. Nous pouvons obſerver à ce propos que les Hommes ont adapté leurs notions & leur language à l’usage de la vie commune, & non pas à la vérité & à l’étenduë des choſes. Car il eſt certain que dans le fond la Relation entre celui qui produit & celui qui eſt produit, eſt la même dans les différentes races des autres Animaux que parmi les Hommes ; cependant on ne s’aviſe guere de dire, ce Taureau eſt le grand-père d’un tel Veau, ou que deux Pigeons ſont couſins-germains. Il eſt fort néceſſaire que parmi les hommes on remarque ces Relations & dans d’autres commerces qui les lient enſemble, on a occaſion de parler des Hommes & de les déſigner ſous ces ſortes de relations. Mais il n’en eſt pas de même des Bêtes. Comme les hommes n’ont pas jugé à propos de leur donner des noms diſtincts & particuliers. Cela peut ſervir en paſſant à nous donner quelque connoiſſance du différent état & progrès des Langues qui ayant été uniquement formées pour la commodité de communiquer enſemble, ſont proportionnées aux notions des hommes & au deſir qu’ils ont de s’entre-communiquer des penſées qui leur ſont familiéres, mais nullement à la réalité ou à l’étenduë des choſes, ni aux divers rapports qu’on peut trouver entr’elles, non plus qu’aux différentes conſidérations abſtraites dont elles peuvent fournir le ſujet. Où ils n’ont point eu de notions Philoſophiques, ils n’ont point eu non plus de termes pour les exprimer : & l’on ne doit pas être ſurpris que les hommes n’ayent point inventé de noms, pour exprimer des penſées, dont ils n’ont point occaſion de s’entretenir. D’où il eſt aiſé de voir pourquoi dans certains Païs les hommes n’ont pas même un mot pour déſigner un Cheval, pendant qu’ailleurs moins curieux de leur propre généalogie que celle de leurs Chevaux, ils ont non ſeulement des noms pour chaque cheval en particulier, mais auſſi pour les différens dégrez de parentage qui ſe trouvent entre eux.

§. 3.Rapports d’inſtitution. En troiſiéme lieu, le fondement ſur lequel on conſidere quelquefois les choſes, l’une par rapport à l’autre, c’eſt un certain acte par lequel on vient à faire quelque choſe en vertu d’un droit moral, d’un certain pouvoir, ou d’une obligation particuliere. Ainſi un Général eſt celui qui a le pouvoir de commander une Armée ; & une Armée qui eſt ſous le commandement d’un Général, eſt un amas d’hommes armez, obligez d’obéïr à un ſeul homme. Un Citoyen ou un Bourgeois eſt celui qui a droit à certains privileges dans tel ou tel Lieu. Toutes ces ſortes de Relations qui dépendent de la volonté des hommes ou des accords qu’ils ont fait entr’eux, je les appelle Rapports d’inſtitution ou volontaires ; & l’on peut les diſtinguer des Relations naturelles en ce que la plûpart, pour ne pas dire toutes, peuvent être alterées d’une maniére ou d’autre, & ſeparées des perſonnes à qui elles ont appartenu quelquefois ; ſans que pourtant aucune des Subſtances qui ſont le ſujet de la Relation vienne à être détruite. Mais quoi qu’elles ſoient toutes réciproques auſſi bien que les autres, & qu’elles renferment