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Ce que c’eſt qu’Identité,

materielle, & les deux autres à deux diſtinctes Subſtances immaterielles qui introduiſent ces diverſes con-ſciences dans ces Corps-là. Car que cela ſoit vrai ou faux, le cas ne change en rien du tout, puisqu’il eſt évident que l’Identité perſonnelle ſeroit également déterminée par la con-ſcience, ſoit que cette con-ſcience fût attachée à quelque Subſtance individuelle immaterielle, ou non. Car après avoir accordé que la Subſtance penſante qui eſt dans l’Homme, doit être ſuppoſée néceſſairement immaterielle, il eſt évident qu’une choſe immaterielle qui penſe, doit quelquefois perdre de vûë ſa con-ſcience paſſée & la rappeller de nouveau, comme il paroit en ce que les hommes oublient ſouvent leurs actions paſſées, & que pluſieurs fois l’Eſprit rappelle le ſouvenir de choſes qu’il avoit faites, mais dont il n’avoit eu aucune reminiſcence pendant vingt ans de ſuite. Suppoſez que ces intervalles de mémoire & d’oubli reviennent par tour, le jour & la nuit, dès-là vous avez deux Perſonnes avec le même Eſprit immateriel, tout ainſi que dans l’Exemple que je viens de propoſer, on voit deux Perſonnes dans un même Corps. D’où il s’enſuit que le ſoi n’eſt pas déterminé par l’Identité ou la Diverſité de Subſtance, dont on peut être aſſuré, mais ſeulement par l’Identité de con-ſcience.

§. 24. A la vérité, le ſoi peut concevoir que la Subſtance dont il eſt préſentement compoſé, a exiſté auparavant, uni au même Etre qui ſe ſent le même. Mais ſeparez-en la con-ſcience, cette Subſtance ne conſtituë non plus le même ſoi, on n’en fait pas non plus partie, que quelque autre Subſtance que ce ſoit, comme il paroit par l’exemple que nous avons déja donné, d’un Membre retranché du reſte du Corps, dont la chaleur, la froideur, ou les autres affections n’étant plus attachées au ſentiment intérieur que l’Homme a de ce qui le touche, ce Membre n’appartient pas plus au ſoi de l’Homme qu’aucune autre matiére de l’Univers. Il en ſera de même de toute Subſtance immaterielle qui eſt deſtituée de cette con-ſcience par laquelle je ſuis moi-même à moi-même : car s’il y a quelque partie de ſon exiſtence dont je ne puiſſe rappeller le ſouvenir pour la joindre à cette con-ſcience préſente par laquelle je ſuis préſentement moi-même, elle n’eſt non plus moi-même par rapport à cette partie de ſon exiſtence, que quelque autre Etre immateriel que ce ſoit. Car qu’une Subſtance ait penſé ou fait des choſes que je ne puis rappeller en moi-même, ni en faire mes propres penſées & mes propres actions par ce que nous nommons con-ſcience, tout cela, dis-je, a beau avoir été fait ou penſé par une partie de moi, il ne m’appartient pourtant pas plus, que ſi un autre Etre immateriel qui eût exiſté en tout endroit, l’eût fait ou penſé.

§. 25. Je tombe d’accord que l’opinion la plus probable, c’eſt, que ce ſentiment intérieur que nous avons de notre exiſtence & de nos actions, eſt attaché à une ſeule Subſtance individuelle & immaterielle.

Mais que les Hommes décident ce point comme ils voudront ſelon leurs différentes hypotheſes, chaque Etre Intelligent ſenſible au bonheur ou à la miſère, doit reconnoitre, qu’il y a en lui quelque choſe qui eſt lui-même, à quoi il s’intereſſe, & dont il deſire le bonheur, que ce ſoi a exiſté dans une durée continuë plus d’un inſtant, qu’ainſi il eſt poſſible qu’à l’avenir il