même con-ſcience ; & ainſi en faiſant conſiſter l’Identité humaine dans la même choſe à quoi nous attachons l’Identité perſonnelle, il n’y aura point d’inconvénient à reconnoître que le même homme eſt la même perſonne. Mais en ce cas-là, ceux qui ne placent l’Identité humaine que dans la con-ſcience, & non dans aucune autre choſe, s’engagent dans un fâcheux défilé ; car il leur reſte à voir comment ils pourront faire que Socrate Enfant ſoit le même homme que Socrate après la reſurrection. Mais quoi que ce ſoit qui, ſelon certaines gens, conſtituë l’Homme & par conſéquent le même homme individuel, ſur quoi peut-être il y en a peu qui ſoient d’un même avis ; il eſt certain qu’on ne ſauroit placer l’Identité perſonnelle dans aucune autre choſe que dans la con-ſcience, qui ſeule fait ce qu’on appelle ſoi-même, ſans s’embarraſſer dans de grandes abſurditez.
§. 22. Mais ſi un homme qui eſt yvre, & qui enſuite ne l’eſt plus, n’eſt pas la même perſonne, pourquoi punit-on pour ce qu’il a fait étant yvre, quoi qu’il n’en ait plus aucun ſentiment ? Il eſt tout autant la même perſonne qu’un homme qui pendant ſon ſommeil marche & fait pluſieurs autres choſes, & qui eſt reſponſable de tout le mal qu’il vient à faire dans cet état, les Loix humaines puniſſant l’un & l’autre par une juſtice conforme à leur maniére de connoître les choſes. Comme dans ces cas-là, elles ne peuvent pas diſtinguer certainement ce qui eſt réel, & ce qui eſt contrefait, l’ignorance n’eſt pas reçuë pour excuſe de ce qu’on a fait étant yvre ou endormi. Car quoi que la punition ſoit attachée à la perſonalité, & la perſonalité à la con-ſcience, & qu’un homme yvre n’aît peut-être aucune con-ſcience de ce qu’il fait eſt prouvé contre lui, & qu’on ne ſauroit prouver pour lui le défaut de con-ſcience. Mais au grand & redoutable Jour du Jugement, où les ſecrets de tous les cœurs ſeront découverts, on a droit de croire que perſonne ne ſera reſponſable de ce qui lui eſt entiérement inconnu, mais que chacun recevera ce qui lui eſt dû, étant accuſé ou excuſé par ſa propre Conſcience.
§. 23.La Con-ſcience ſeule conſtitue le ſoi. Il n’y a que la con-ſcience qui puiſſe réunir dans une même Perſonne des exiſtences éloignées. L’identité de Subſtance ne peut le faire. Car quelle que ſoit la Subſtance, de quelque maniére qu’elle ſoit formée, il n’y a point de perſonalité ſans con-ſcience ; & un Cadavre peut auſſi bien être une Perſonne, qu’aucune ſorte de Subſtance peut l’être ſans con-ſcience.
Si nous pouvions ſuppoſer deux Con-ſciences diſtinctes & incommunicables, qui agiroient dans le même Corps, l’une conſtamment pendant le jour, & l’autre durant la nuit, & d’un autre côté la même con-ſcience agiſſant par intervalle dans deux Corps différens ; je demande ſi dans le prémier cas l’homme de jour & l’homme de nuit, ſi j’oſe m’exprimer de la ſorte, ne ſeroient pas deux perſonnes auſſi diſtinctes que Socrate & Platon ; & ſi dans le ſecond cas ce ne ſeroit pas une ſeule Perſonne dans deux Corps diſtincts, tous de même qu’un homme eſt le même homme dans deux différens habits ? Et il n’importe en rien de dire, que cette même con-ſcience qui affecte deux differens Corps, & ces con-ſciences diſtinctes qui affectent le même Corps en divers temps, appartiennent l’une à la même Subſtance im-