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& de Diverſité. Liv. II.


§. 12.Si elle ſubſiſte dans le changement des Subſtances penſantes. Mais la Queſtion, eſt, ſi la même Subſtance qui penſe, étant changée, la Perſonne peut être la même, ou ſi cette Subſtance demeurant la même, il peut y avoir différentes Perſonnes.

A quoi je répons en prémier lieu, que cela ne ſauroit être une Queſtion pour ceux qui font conſiſter la penſée dans une conſtitution animale, purement materielle, ſans qu’une Subſtance immaterielle y aît aucune part. Car que leur ſuppoſition ſoit vraye ou fauſſe, il eſt évident qu’ils conçoivent que l’Identité perſonnelle eſt conſervée dans quelque autre choſe que dans l’Identité de Subſtance, tout de même que l’Identité de l’Animal eſt conſervée dans une Identité de vie & non de Subſtance. Et par conſéquent, ceux qui n’attribuent la penſée qu’à une Subſtance immaterielle, doivent montrer, avant que de pouvoir attaquer ces prémiers, pourquoi l’Identité perſonnelle ne peut être conſervée dans un changement de Subſtances immaterielles, ou dans une varieté de Subſtances particuliéres immaterielles, auſſi bien que l’Identité animale ſe conſerve dans un changement de Subſtances materielles, ou dans une varieté de Corps particuliers ; à moins qu’ils ne veuillent dire qu’un ſeul Eſprit immateriel fait la même vie dans les Brutes, comme un ſeul Eſprit immateriel fait la même perſone dans les Hommes, ce que les Carteſiens au moins n’admettront pas, de peur d’ériger auſſi les Bêtes Brutes en Etres penſans.

§. 13. Mais, ſuppoſé qu’il n’y aît que des Subſtances immaterielles, qui penſent, je dis ſur la prémiére partie de la Queſtion, qui eſt, ſi la même Subſtance penſante étant changée, la Perſonne peut être la même ; je répons, dis-je, qu’elle ne peut être réſoluë que par ceux qui ſavent qu’elle eſt l’eſpèce de Subſtance qui penſe en eux, & ſi la con-ſcience qu’on a de ſes actions paſſées, peut être transferée d’une Subſtance penſante à une autre Subſtance penſante. Je conviens, que cela ne pourroit ſe faire, ſi cette con-ſcience étoit une ſeule & même action individuelle. Mais comme ce n’eſt qu’une repréſentation actuelle d’une action paſſée, il reſte à prouver comment il n’eſt pas poſſible que ce qui n’a jamais été réellement, puiſſe être repréſenté à l’Eſprit comme ayant été véritablement. C’eſt pourquoi nous aurons de la peine à déterminer juſques où le ** Conſciousneſs. ſentiment des actions paſſées eſt attaché à quelque Agent individuel, en ſorte qu’un autre Agent ne puiſſe l’avoir ; il nous ſera, dis-je, bien difficile de déterminer cela, juſqu’à ce que nous connoiſſions quelle eſpèce d’Actions ne peuvent être faites ſans un Acte refléchi de perception, qui les accompagne, & comment ces ſortes d’actions ſont produites par des Subſtances penſantes qui ne ſauroient penſer ſans en être convaincuës en elles-mêmes. Mais parce que ce que nous appellons la même con-ſcience n’eſt pas un même Acte individuel, il n’eſt pas facile de s’aſſurer par la nature des choſes, comment une Subſtance intellectuelle ne ſauroit recevoir la repréſentation d’une choſe comme faite par elle-même, qu’elle n’auroit pas faite, mais qui peut-être auroit été faite par quelque autre Agent, tout auſſi bien que pluſieurs repréſentations en ſonge, que nous regardons comme véritables pendant que nous ſongeons. Et juſques à ce que nous connoiſſions plus clairement la nature des Subſtances penſantes, nous n’aurons point de meilleur moyen pour nous aſſûrer que