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PRÉFACE
DE
L’AUTEUR



VOici cher Lecteur, ce qui a fait le divertiſſement de quelques heures de loiſir que je n’étois pas d’humeur d’employer à autre choſe. Si cet Ouvrage a le bonheur d’occuper de la même maniére quelque petite partie d’un temps où vous ſerez bien aiſe de vous relâcher de vos affaires plus importantes, & que vous preniez ſeulement la moitié tant de plaiſir à le lire que j’en ai eu à le compoſer, vous n’aurez pas, je croi, plus de regret à votre argent que j’en ai eu à ma peine. N’allez pas prendre ceci pour un Eloge de mon Livre, ni vous figurer que, puisque j’ai pris du plaiſir à le faire, je l’admire à préſent qu’il eſt fait. Vous auriez tort de m’attribuer une telle penſée. Quoi que celui qui chaſſe aux Alouettes ou aux Moineaux, n’en puiſſe pas retirer un grand profit, il ne ſe divertit pas moins que celui qui court un Cerf ou un Sanglier. D’ailleurs, il faut avoir fort peu de connoiſſance du ſujet de ce Livre, je veux dire l’E N T E N D E M E N T, pour ne pas ſavoir, que, comme c’eſt la plus ſublime Faculté de l’Ame, il n’y en a point auſſi dont l’exercice ſoit accompagné d’une plus grande & plus conſtante ſatisfaction. Les recherches où l’Entendement s’engage pour trouver la Vérité, ſont une eſpèce de chaſſe, où la pourſuite même fait une grande partie du plaiſir.

Chaque pas que l’Eſprit fait dans la Connoiſſance, eſt une eſpèce de découverte qui eſt non ſeulement nouvelle, mais auſſi la plus parfaite, du moins pour le préſent. Car l’Entendement, ſemblable à l’Œuil, ne jugeant des Objets que par ſa propre vûe, ne peut que prendre plaiſir aux découvertes qu’il fait, moins inquiet pour ce qui lui eſt échappé, parce qu’il ignore ce que c’eſt. Ainſi, quiconque ayant formé le généreux deſſein de ne pas vivre d’aumône, je veux dire de ne pas ſe repoſer nonchalamment ſur des Opinions empruntées au hazard, met ſes propres penſées en œuvre pour trouver & embraſſer la Vérité, goûtera du contentement dans cette Chaſſe, quoi que ce ſoit qu’il rencontre. Chaque moment qu’il employe à cette recherche, le recompenſera de ſa peine par quelque plaiſir ; & il aura ſujet de croire ſon temps bien employé, quand même il ne pourroit pas ſe glorifier d’avoir fait de grandes acquiſitions.