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& de Diverſité. Liv. II.

avoit vêcu ce temps là en Hollande, avoit pris une ſi forte averſion pour les Perroquets à cauſe de celui-là, qu’il ne pouvoit pas les ſouffrir, diſant qu’ils avoient le Diable dans le Corps. J’avois appris toutes ces circonſtances & pluſieurs autres qu’on m’aſſuroit être véritables ; ce qui m’obligea de prier le Prince Maurice de me dire ce qu’il y avoit de vrai en tout cela. Il me répondit avec ſa franchiſe ordinaire & en peu de mots, qu’il y avoit quelque choſe de véritable, mais que la plus grande partie de ce qu’on m’avoit dit, étoit faux. Il me dit que lorſqu’il vient dans le Breſil, il avoit ouï parler de ce Perroquet ; & que lorſqu’il vient dans la Sale où le Prince étoit avec pluſieurs Hollandois auprès de lui ; le Perroquet dit, dès qu’il les vit, Quelle compagnie d’hommes blancs eſt celle-ci ? On lui demanda en lui montrant le Prince, qui il étoit ? Il répondit que c’étoit quelque Général. On le fit approcher, & le Prince lui demanda, D’où venez-vous ? Il répondit, de Marinan. Le Prince, A qui êtes-vous ? Le perroquet, A un Portugais. Le Prince, Que fais-tu là ? Le Perroquet, Je garde les poules. Le Prince ſe mit à rire, & dit, Vous gardez les poules ? Le Perroquet répondit, Oui, moi ; & je ſai bien faire chuc, chuc ; ce qu’on a accoûtumé de faire quand on appelle les poules, & ce que le Perroquet repeta pluſieurs fois. Je rapporte les paroles de ce beau Dialogue en François, comme le Prince me les dit. Je lui demandai encore quelle langue parloit le Perroquet. Il me répondit, que c’étoit en Braſilien. Je lui demandai s’il entendoit cette Langue. Il me répondit, que non, mais qu’il avoit eu ſoin d’avoir deux Interpretes, un Braſilien qui parloit Hollandais, & l’autre Hollandais qui parloit Braſilien, qu’il les avoit interrogez ſeparement, & qu’ils lui avoient rapporté tous deux les mêmes paroles. Je n’ai pas voulu omettre cette Hiſtoire, parce qu’elle eſt extrêmement ſinguliére, & qu’elle peut paſſer pour certaine. J’oſe dire au moins que ce Prince croyoit ce qu’il me diſoit, ayant toûjours paſſé pour un homme de bien & d’honneur. Je laiſſe aux Naturaliſtes le ſoin de raiſonner ſur cette avanture, & aux autres hommes la liberté d’en croire ce qu’il lui plairra. Quoi qu’il en ſoit, il n’eſt peut-être pas mal d’égayer quelquefois la ſcene par de telles digreſſions, à propos ou non. »

J’ai eu ſoin de faire voir à mon Lecteur cette Hiſtoire tout au long dans les propres termes de l’Auteur, parce qu’il me ſemble qu’il ne l’a pas jugée incroyabe, car on ne ſauroit s’imaginer qu’un ſi habile homme que lui, qui avoit aſſez de capacité pour autoriſer tous les temoignages qu’il nous donne de lui-même, eût pris tant de peine dans un endroit où cette Hiſtoire ne fait rien à ſon ſujet, pour nous reciter ſur la foi d’un homme qui étoit non ſeulement ſon ami, comme il nous l’apprend lui-même, mais encore un Prince qu’il reconnoit homme de bien & d’honneur, un conte qu’il ne pouvoit croire incroyabe ſans le regarder comme fort ridicule. Il eſt viſible que le Prince qui garentit cette Hiſtoire, & que notre Auteur qui la rappor-