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Ce que c’eſt qu’Identité,

des hommes peuvent être envoyées pour punition de leurs déreglemens, dans des Corps de Bêtes, comme dans des habitations propres à l’aſſouvissement de leurs paſſions brutales. Car je ne croi pas qu’une perſonne qui ſeroit aſſûrée que l’Ame d’Heliogabale exiſtoit dans l’un de ſes Pourceaux, voulût dire que ce Pourceau étoit un homme, ou le même homme qu’Heliogabale.

§. 7.L’identité répond à l’idée qu’on ſe fait des choſes. Ce n’eſt donc pas l’unité de Subſtance qui comprend toute ſorte d’Identité, ou qui la peut déterminer dans chaque rencontre. Mais pour ſe faire une idée exacte de l’Identité, & en juger ſainement, ([1]) il faut voir quelle idée eſt ſignifiée par le mot auquel on l’applique ; car être la même Subſtance, le même homme, & la même perſonne ſont trois choſes différentes, s’il eſt vrai que ces trois termes, Perſonne, Homme, & Subſtance emportent trois différentes idées ; parce que telle qu’eſt l’idée qui appartient à un certain nom, telle doit être l’identité. Cela conſideré avec un peu plus d’attention & d’exactitude auroit peut-être prévenu une bonne partie des embarras où l’on tombe ſouvent ſur cette matiére, & qui ſont ſuivis de grandes difficultez apparentes, principalement à l’égard de l’Identité perſonnelle que nous allons examiner par cet effet avec un peu d’application.

§. 8.Ce qui fait le même Homme. Un Animal eſt un Corps vivant organizé ; & par conſéquent, le même Animal eſt, comme nous avons déja remarqué, la même vie continuée, qui eſt communiquée à différentes particules de Matiére, ſelon qu’elles viennent à être ſucceſſivement unies à ce Corps organizé qui a de la vie : & quoi qu’on diſe des autres définitions, une obſervation ſincere nous fait voir certainement, que l’idée que nous avons dans l’Eſprit de ce dont le mot Homme eſt un ſigne dans notre bouche, n’eſt autre que l’idée d’un Animal d’une certaine forme. C’eſt dequoi je ne doute en aucune maniére ; car je croi pouvoir avancer hardiment, que qui de nous verroit une Créature faite & formée comme ſoi-même, quoi qu’elle n’eût jamais fait paroître plus de raiſon qu’un Chat ou un Perroquet diſcourir raiſonnablement & en Philoſophe, il ne l’appelleroit ou ne le croiroit que Perroquet, & qu’il diroit du prémier de ces Animaux que c’eſt un Homme groſſier, lourd & deſtitué de raiſon, & du dernier que c’eſt un Perroquet plein d’eſprit & de bon ſens. Un fameux ([2]) Ecrivain de ce temps nous raconte une hiſtoire qui ſuffire pour autoriſer la ſuppoſition que je viens de faire, d’un Perroquet raiſonnable. Voici ſes paroles : « J’avois toûjours eu envie de ſavoir de la propre bouche du Prince Maurice de Naſſau, ce qu’il y avoit de vrai dans une hiſtoire que j’avois ouï dire pluſieurs fois au ſujet d’un Perroquet qu’il avoit pendant qu’il étoit dans ſon Gouvernement du Breſil. Comme je crus que vraiſemblablement je ne le verrois plus, je le priai de m’en éclaircir. On diſoit que ce Perroquet faiſoit des queſtions & des réponſes auſſi juſtes qu’une créature raiſonnable auroit pû faire, de ſorte que l’on croyoit dans la Maiſon de ce Prince que ce Perroquet étoit poſſedé. On ajoûtoit qu’un de ſes Chapelains qui

  1. Ceci ſert à expliquer la fin du prémier Paragraphe de ce Chapitre.
  2. Mr. le Chevalier Temple dans ſes Memoires, p. 66. Edit. de Hollande, an. 1692.