Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
Ce que c’eſt qu’Identité

ſiſte dans l’exiſtence même qui fixe chaque être, de quelque ſorte qu’il ſoit, à un temps particulier, & un lieu incommunicable à deux Etres de la même eſpèce. Quoi que cela paroiſſe plus aiſé à concevoir dans les Subſtances ou Modes les plus ſimples, on trouvera pourtant, ſi l’on y fait reflexion, qu’il n’eſt pas plus difficile de le comprendre dans les Subſtances, ou Modes les plus complexes, ſi l’on prend la peine de conſiderer à quoi ce Principe eſt préciſément appliqué. Suppoſons par exemple un Atome, c’eſt-à-dire, un Corps continu ſous une ſurface immuable, qui exiſte dans un temps & dans un lieu déterminé, il eſt évident, que dans quelque inſtant de ſon exiſtence qu’on le conſidere, il eſt dans cet inſtant le même avec lui-même. Car étant dans cet inſtant ce qu’il eſt effectivement & rien autre choſe, il eſt le même & doit continuer d’être tel, auſſi long-temps que ſon exiſtence eſt continuée : car pendant tout ce temps il ſera le même, & non un autre. Et ſi deux, trois, quatre Atomes, & davantage, ſont joints enſemble dans une même Maſſe, chacun de ces Atomes ſera le même, par la règle que je viens de poſer ; & pendant qu’ils exiſtent joints enſemble, la maſſe qui eſt compoſée des mêmes Atomes, ou qu’on y en ajoûte un nouveau, ce n’eſt plus la même maſſe, ni le même corps. Quant aux créatures vivantes, leur Identité ne dépend pas d’une maſſe compoſée des mêmes particules, mais de quelque autre choſe. Car en elles un changement de grandes parties de matiére ne donne point d’atteinte à l’Identité. Un Chêne qui d’une petite plante devient un grand arbre, & qu’on vient d’émonder, eſt toûjours le même Chêne ; & un Poulain devenu Cheval, tantôt gras, & tantôt maigre, eſt durant tout ce temps-là le même Cheval, quoi que dans ces deux cas il y aît un manifeſte changement de partie : de ſorte qu’en effet ni l’un ni l’autre n’eſt une même maſſe de matiere, bien qu’ils ſoient veritablement, l’un le même Chêne ; & l’autre, le même Cheval. Et la raiſon de cette difference eſt fondée ſur ce que dans ces deux cas concernant une maſſe de matiére, & un Corps vivant, l’Identité n’eſt pas appliquée à la même choſe.

§. 4.Identité des Vegetaux. Il reſte donc de voir en quoi un Chêne différe d’une maſſe de Matiére ; & c’eſt, ce me ſemble, en ce que la derniére de ces choſes n’eſt que la cohéſion de certaines particules de Matiére, de quelque maniére qu’elles ſoient unies, au lieu que l’autre eſt une diſpoſition de ces particules telle qu’elle doit être pour conſtituer les parties d’un Chêne, & une telle organization de parties dans un ſeul Corps qui participe à une commune vie ; une Plante continuë d’être la même Plante auſſi long-temps qu’elle a part à la même vie, quoi que cette vie vienne à être communiquée à de nouvelles parties de matiére, unies vitalement à la Plante déja vivante, en vertu d’une pareille organization continuée, laquelle convient à cette eſpèce de Plante. Car cette organization étant