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& de Diverſité. Liv. II.

§. 2. Nous n’avons d’idée que de trois ſortes de Subſtances, qui ſont, 1. Dieu ; les Intelligences Finies ; 3. & les Corps.

Prémiérement, Dieu eſt ſans commencement, éternel, inaltérable, & préſent par-tout, c’eſt pourquoi l’on ne peut former aucun doute ſur ſon Identité.

En ſecond lieu, les Eſprits finis ayant eu chacun un certain temps & un certain lieu qui a déterminé le commencement de leur exiſtence, la relation à ce temps & à ce lieu déterminera toûjours l’Identité de chacun d’eux, auſſi long temps qu’elle ſubſiſtera.

En troiſiéme lieu, l’on peut dire de même à l’égard de chaque particule de Matiére, que, tandis qu’elle n’eſt ni augmentée ni diminuée par l’addition ou la ſouſtraction d’aucune matiére, elle eſt la même. Car quoi que ces trois ſortes de Subſtances, comme nous ne pouvons nous empêcher de concevoir, que chacune d’elles doit néceſſairement exclurre du même lieu tout autre qui eſt de la même eſpèce. Autrement, les notions & les noms d’Identité & de Diverſité ſeroient inutiles ; & il ne pourroit y avoir aucune diſtinction de Subſtances ni d’aucunes choſes differentes l’une de l’autre. Par exemple, ſi deux Corps pouvoient être dans un même lieu tout à la fois, deux particules de Matiére ſeroient une ſeule & même particule, ſoit que vous les ſuppoſiez grandes ou petites ; ou plûtôt, tous les Corps ne ſeroient qu’un ſeul & même Corps. Car par la même raiſon que deux particules de Matiére peuvent être dans un ſeul lieu, tous les Corps peuvent être auſſi dans un ſeul lieu : ſuppoſition qui étant une fois admiſe détruit toute diſtinction entre l’Identité & la Diverſité, entre un & pluſieurs, & la rend tout-à-fait ridicule. Or comme c’eſt une contradiction, que deux ou plus d’un ne ſoient qu’un, l’Identité & la Diverſité ſont des rapports & des moyens de comparaiſon très-bien fondez, & de grand uſage à l’entendement.

ToutesIdentité des Modes. les autres choſes n’étant, après les Subſtances, que des Modes ou des Relations qui ſe terminent aux Subſtances, on peut déterminer encore par la même voye l’Identité & la Diverſité de chaque exiſtence particuliére qui leur convient. Seulement à l’égard des choſes dont l’exiſtence conſiſte dans une perpetuelle ſuceſſion, comme ſont les actions des Etres finis, le Mouvement & la Penſée, qui conſiſtent l’un & l’autre dans une continuelle ſucceſſion, on ne peut douter de leur diverſité ; car chacune périſſant dans le même moment qu’elle commence, elles ne ſauroient exiſter en différens temps, ou en différens lieux, ainſi que des Etres permanens peuvent en divers temps exiſter dans des lieux différens ; & par conſéquent, aucun mouvement ni aucune penſée qu’on conſidere comme dans différens temps ne peuvent être les mêmes, puisque chacune de leurs parties a un différent commencement d’exiſtence.

§. 3.Ce que c’eſt qu’on nomme dans les Ecoles Principium Individuationis. Par tout ce que nous venons de dire il eſt aiſé de voir ce que c’eſt qui conſtituë un Individu & le diſtingue de tout autre Etre, (ce qu’on nomme Principium Individuationis dans les Ecoles, où l’on ſe tourmente ſi fort pour ſavoir ce que c’eſt) il eſt, dis-je, évident, que ce Principe con-