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De la Cauſe & de l’Effet.

buée. Ainſi, lorſque je ſai qu’un Oiſeau a pondu l’Oeuf d’où eſt éclos un autre Oiſeau, j’ai une idée claire de la Relation de Mére & de Petit, qui eſt entre les deux ([1]) Caſſivaris qu’on voit dans le ([2]) Parc de St. James, quoi que je n’aye peut-être qu’une idée fort obſcure & fort imparfaite de cette eſpèce d’Oiſeaux.

§. 9.Toutes les relations ſe terminent à des Idées ſimples. En troiſième lieu, quoi qu’il y aît quantité de conſiderations ſur quoi l’on peut fonder la comparaiſon d’une choſe avec une autre, & par conſéquent un grand nombre de Relations, cependant ces Relations ſe terminent toutes à des Idées ſimples qui tirent leur origine de la Senſation ou de la Reflexion, comme je le montrerai nettement à l’égard des plus conſiderables Relations qui nous ſoient connuës, & de quelques-unes qui ſemblent les plus éloignées des Sens ou de la Reflexion.

§. 10.Les Termes qui conduiſent l’Eſprit au delà du ſujet de la dénomination, ſont Relatifs. En quatriéme lieu, comme la Relation eſt la conſideration d’une choſe par rapport à une autre, ce qui lui eſt tout-à-fait extérieur, il eſt évident que tous les mots qui conduiſent néceſſairement l’Eſprit à d’autres Idées qu’à celles qu’on ſuppoſe exiſter réellement dans la choſe à laquelle le mot eſt appliqué, ſont des termes relatifs. Ainſi, quand je dis, un homme noir, gai, penſif, alteré, chagrin, ſincere, ces termes & pluſieurs autres ſemblables ſont tous termes abſolus, parce qu’ils ne ſignifient ni ne déſignent aucune autre choſe que ce qui exiſte, ou qu’on ſuppoſe exiſter réellement dans l’Homme, à qui l’on donne ces dénominations. Mais les mots ſuivans, Pére, Frére, Roi, mari, Plus noir, Plus gai, &c. ſont des mots qui, outre la choſe qu’ils denotent, renferment auſſi quelque autre choſe de ſéparé de l’exiſtence de cette choſe-là & qui lui eſt tout-à-fait exterieur.

§. 11.Concluſion. Après avoir propoſé ces Remarques préliminaires touchant la Relation en général, je vais montrer préſentement par quelques exemples, comment toutes nos Idées de Relation ne ſont compoſées que d’Idées ſimples, auſſi bien que les autres, & ſe terminent enfin à des Idées ſimples, quelque déliées, & éloignées des Sens qu’elles paroiſſent. Je commencerai par la Relation qui eſt de la plus vaſte étenduë, & à laquelle toutes les choſes qui exiſtent ou peuvent exiſter, ont part, je veux dire la Relation de la Cauſe & de l’Effet : idées qui découlent des deux ſources de nos connoiſſances, la Senſation & la Reflexion, comme je le ferai voir dans le Chapitre ſuivant.



CHAPITRE XXVI.

De la Cauſe & de l’Effet & de quelques autres Relations.


§. 1.D’où nous viennent les Idées de Cauſe & d’Effet.
En conſiderant, par le moyen des Sens, la conſtante viciſſitude des choſes, nous ne pouvons nous empêcher d’obſerver que pluſieurs choſes particuliéres, ſoit Qualitez ou Subſtances, commencent d’ex-

  1. Ce ſont deux Oiſeaux inconnus en Europe, qui apparemment n’ont point d’autre nom en François.
  2. Parc du Roi d’Angleterre, derriére le Palais de S. James à Londres.