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De la Relation. Liv. II.

ſant ſignifier quelque choſe d’abſolu dans le ſujet auquel on les applique, cachent pourtant ſous la forme & l’apparence de termes poſitifs, une relation tacite, quoi que moins remarquable ; tels ſont les termes en apparence poſitifs de vieux, grand, imparfait, &c. dont j’aurai occaſion de parler plus au long dans les Chapitres ſuivans.

§. 4.La Relation différe des choſes qui ſont le ſujet de la Relation. On peut remarquer, outre cela, Que les idées de Relation peuvent être les mêmes dans l’Eſprit de certaines perſonnes qui ſont ainſi comparées l’une à l’autre. Ceux qui ont, par exemple, des idées extrêmement différentes de l’Homme, peuvent pourtant s’accorder ſur la notion de Pére, qui eſt une notion ajoûtée à cette Subſtance qui conſtituë l’homme, & ſe rapporte uniquement à un acte particulier de la choſe que nous nommons Homme, par lequel acte cet homme contribuë à la génération d’un Etre de ſon Eſpèce ; que l’Homme ſoi d’ailleurs ce qu’on voudra.

§. 5.Il peut y avoir un changement de Relation ſans qu’il arrive aucun changement dans le ſujet. Il s’enſuit de là que la nature de la Relation conſiſte dans la comparaiſon qu’on fait d’une choſe avec une autre ; de laquelle comparaiſon de l’une de ces choſes ou toutes deux reçoivent une dénomination particulière. Que ſi l’une eſt miſe à l’écart ou ceſſe d’être, la Relation ceſſe, auſſi bien que la dénomination qui en eſt une ſuite, quoi que l’autre ne reçoive par-là aucune alteration en elle-même. Ainſi Titius que je conſidére aujourd’hui comme Pére, ceſſe de l’être demain, ſans qu’il faſſe aucun changement en lui, par cela ſeul que ſon Fils vient à mourir. Bien plus, la même choſe capable d’avoir des dénominations contraires dans le même temps, de là ſeulement que l’Eſprit la compare avec un autre objet ; par exemple, en comparant Titius à différentes perſonnes on peut dire avec vérité qu’il eſt plus vieux & plus jeune, plus fort & plus foible, &c.

§. 6.La Relation n’eſt qu’entre deux choſes. Tout ce qui exiſte, qui peut exiſter ou être conſideré comme une ſeule choſe, eſt poſitif, & par conſéquent, non ſeulement les Idées ſimples & les Subſtances ſont des Etres poſitifs, mais auſſi les Modes. Car quoi que les parties dont ſont compoſez, ſoient fort ſouvent relatives l’une à l’autre, le tout pris enſemble eſt conſideré comme une ſeule choſe, & produit en nous l’idée complexe d’une ſeule choſe : laquelle idée eſt dans notre Eſprit comme un ſeul Tableau (bien que ſoit un aſſemblage de diverſes parties) & nous préſente ſous un ſeul nom une choſe ou une idée poſitive & abſoluë. Ainſi, quoi que les parties d’un Triangle, comparées l’une à l’autre ſoient relatives, cependant l’idée du Tout eſt une idée poſitive & abſoluë. On peut dire la même choſe d’une Famille, d’un Air de chanſon, &c. car il ne peut y avoir de Relation qu’entre deux choſes conſiderées comme deux choſes. Un rapport ſuppoſe néceſſairement deux idées ou deux choſes, réellement ſeparées l’une de l’autre ou conſiderées comme diſtinctes, & qui par-là ſervent de fondement ou d’occaſion à la comparaiſon qu’on en fait.

§. 7. Voici quelques obſervations qu’on peut faire touchant la Relation en général.

Toutes choſes ſont capables de Relation. Prémiérement, Il n’y a aucune choſe, ſoit Idée ſimple, Subſtance, Mode, ſoit Relation, ou dénomination d’aucune de ces choſes, ſur laquelle on