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De la Relation. Liv. II.

lorſque l’Eſprit conſidère Titius comme un certain Etre poſitif, il ne renferme rien dans cette idée que ce qui exiſte réellement dans Titius : par exemple, lors que je le conſidere comme un homme, je n’ai autre choſe dans l’Eſprit que l’idée complexe de cette eſpèce Homme ; de même quand je dis que Titius est un homme blanc, je ne me repréſente autre choſe qu’un homme qui a cette couleur particulière. Mais quand je donne à Titius le nom de Mari, je déſigne en même temps quelque autre perſonne, ſavoir, ſa femme ; & lorſque je dis qu’il eſt plus blanc, je déſigne auſſi quelque autre choſe, par exemple l’yvoire ; car dans ces deux cas ma penſée porte ſur quelque autre choſe que ſur Titius, de ſorte que j’ai actuellement deux objets préſens à l’Eſprit. Et comme chaque idée ſoit ſimple ou complexe, peut fournir à l’Eſprit une occaſion de mettre ainſi deux choſes enſemble, & de les enviſager en quelque ſorte tout à la fois, quoi qu’il ne laiſſe pas de les conſiderer comme diſtinctes, il s’enſuit de là que chacune de nos idées peut ſervir de fondement à un rapport. Ainſi dans l’exemple que je viens de propoſer, le contract & la cérémonie du mariage de Titius avec Sempronia fondent la dénomination ou la Relation de Mari ; & la couleur blanche eſt la raiſon pourquoi je dis qu’il eſt plus blanc que l’yvoire.

§. 2.On n’apperçoit pas aiſément les Relations qui manquent de termes correlatifs. Ces Relations-là & autres ſemblables exprimées par des termes Relatifs auxquels il y a d’autres termes qui répondent reciproquement, comme Pere & Fils ; plus grand & plus petit ; Cauſe & Effet ; toutes ces ſortes de Relations ſe préſentent aiſément à l’Eſprit, & chacun découvre auſſitôt le rapport qu’elles renferment. Car les mots de Pére & de Fils, de Mari & de Femme, & tels autres termes correlatifs paroiſſent avoir une ſi étroite liaiſon entr’eux, & par coûtume ſe répondent ſi promptement l’un à l’autre dans l’Eſprit des hommes, que dès qu’on nomme un de ces termes, la penſée ſe porte d’abord au delà de la choſe nommée ; de ſorte qu’il n’y a perſonne qui manque de s’appercevoir ou qui doute en aucune maniére d’un rapport qui eſt marqué avec tant d’évidence. Mais lorſque les Langues ne fourniſſent point de noms correlatifs, l’on ne s’apperçoit pas toûjours ſi facilement de la Relation. Concubine eſt ſans doute un terme relatif auſſi bien que femme ; mais dans les Langues où ce mot & autres ſemblables n’ont point de terme correlatif, on n’eſt pas ſi porté à les regarder ſous cette idée ; parce qu’ils n’ont pas cette marque évidente de relation qu’on trouve entre les termes correlatifs, qui ſemblent s’expliquer l’un l’autre, & ne pouvoir exiſter que tout à la fois. De là vient que pluſieurs de ces termes, qui, à les biens conſidérer, enferment des Rapports évidents, ont paſſé ſous le nom de dénominations extérieures. Mais tous les noms qui ne ſont pas de vains ſons, doivent renfermer néceſſairement quelque idée ; & cette idée eſt, ou dans la choſe à laquelle le nom eſt appliqué, auquel cas elle eſt poſitive, & eſt conſidérée comme unie & exiſtante dans la choſe à laquelle on donne la dénomination, ou bien elle procede du rapport que l’Eſprit trouve entre cette idée & quelque autre choſe qui en eſt diſtinct, avec quoi il la conſidére ; & alors cette idée renferme une relation.

§. 3.Quelques termes d’une ſignification abſolue en apparence ſont effectivement relatifs. Il y a une autre ſorte de termes relatifs qu’on ne regarde point ſous cette idée, ni même comme des dénominations extérieures, & qui paroiſ-