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De nos Idées Complexes

Eſprits que celles qui nous viennent de cette ſource ; & toute la différence que nous pouvons mettre entre elles en les rapportant aux Eſprits, conſiſte uniquement dans la différence étenduë, & les divers dégrez de leur Connoiſſance, de leur Puiſſance, de leur Durée, de leur Bonheur, &c. Car que les Idées que nous avons, tant des Eſprits que des autres Choſes, ſe terminent à celles que nous recevons de la Senſation & de la Reflexion, c’eſt ce qui ſuit évidemment de ce que dans nos idées des Eſprits, à quelque dégré de perfection que nous les portions au delà de celles des Corps, même juſqu’à celle de l’Infini, nous ne ſaurions pourtant y demêler aucune idée de la maniére dont les Eſprits ſe découvrent leurs penſées les uns aux autres ; quoi que nous ne puiſſions éviter de conclurre, que les Eſprits ſeparez, qui ont des connoiſſances plus parfaites & qui ſont dans un état beaucoup plus heureux que nous, doivent avoir auſſi une voye plus parfaite de s’entre-communiquer leurs penſées, que nous qui ſommes obligez de nous ſervir de ſignes corporels, & particulierement de ſons, qui ſont de l’uſage le plus général comme les moyens les plus commodes & les plus prompts que nous puiſſions employer pour nous communiquer nos penſées les uns aux autres. Mais parce que nous n’avons en nous-mêmes aucune expérience, & par conſéquent, aucune notion d’une communication immédiate, nous n’avons point auſſi d’idée de la maniére dont les Eſprits qui n’uſent point de paroles, peuvent ſe communiquer promptement leurs penſées ; & moins encore comprenons-nous comment n’ayant point de Corps, ils peuvent être maîtres de leurs propres penſées, & les faire connoître ou les cacher comme il leur plaît, quoi que nous devions ſuppoſer néceſſairement qu’ils ont une telle Puiſſance.

§. 37.Recapitulation. Voilà donc préſentement, Quelles ſortes d’Idées nous avons de toutes les différentes eſpèces de Subſtances, En quoi elles conſiſtent ; & Comment nous les acquérons. D’où je croi qu’on peut tirer évidemment ces trois conſéquences.

La prémiére, que toutes les Idées que nous avons des differentes Eſpèces de Subſtances, ne ſont que des Collections d’Idées ſimples avec la ſuppoſition d’un Sujet auquel elles appartiennent & dans lequel elles ſubſiſtent, quoi que nous n’ayions point d’idée claire & diſtincte de ce ſujet.

La ſeconde, que toutes les Idées ſimples qui ainſi unies dans un commun ** Subſtratum. ſujet compoſent les Idées complexes que nous avons de différentes ſortes de Subſtances, ne ſont autre choſe que des idées qui nous ſont venuës par Senſation ou par Reflexion. De ſorte que dans les choſes mêmes que nous croyons connoître de la maniére la plus intime, & comprendre avec le plus d’exactitude, nos plus vaſtes conceptions ne ſauroient s’étendre au delà de ces Idées ſimples. De même, dans les choſes qui paroiſſent les plus éloignées de toutes les autres que nous connoiſſons, & qui ſurpaſſent infiniment tout ce que nous pouvons appercevoir en nous-mêmes par la Reflexion, ou découvrir dans les autres choſes par le moyen de la Senſation, nous ne ſaurions y rien découvrir que ces Idées ſimples qui nous viennent originairement de la Senſation ou de la Reflexion, comme il paroît évidemment à l’égard des Idées complexes que nous avons des Anges & en particulier de Dieu lui-même.