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des Subſtances. Liv. II.

que nous avons de ** Dont il eſt parlé ci-deſſus dans tout le Chapitre XVII. de ce Liv. II. pag. 158.
† Pag. 108. &c. Chap. XI. §. 6. &c.
l’Infini, & joignant toutes ces Idées enſemble, nous formons notre Idée complexe de Dieu. Car que l’Eſprit ait cette Puiſſance d’étendre quelques-unes de ſes Idées, qui lui ſont venuës par Senſation ou par Reflexion, c’eſt ce que nous avons † déja montré.

§. 34. Si je trouve que je connois un petit nombre de choſes, & quelques-unes de celles-là, ou, peut-être, toutes, d’une maniére imparfaite, je puis former une idée d’un Etre qui en connoit deux fois autant, que je puis doubler encore auſſi ſouvent que je puis ajoûter au nombre, & ainſi augmenter mon idée de connoiſſance en étendant ſa comprehenſion à toutes les choſes qui exiſtent ou peuvent exiſter. J’en puis faire de même à l’égard de la maniére de connoître toutes ces choſes plus parfaitement, c’eſt-à-dire, toutes leurs Qualitez, Puiſſances, Cauſes, Conſéquences, & Relations, &c. juſqu’à ce que tout ce qu’elles renferment ou qui peut y être rapporté en quelque maniére, ſoit parfaitement connu : Par où je puis me former l’idée d’une connoiſſance infinie, ou qui n’a point de bornes. On peut faire la même choſe à l’égard de la Puiſſance que nous pouvons étendre juſqu’à ce que nous ſoyions parvenus à ce que nous appellons Infini, Comme auſſi à l’égard de la Durée d’une exiſtence ſans commencement ou ſans fin, & ainſi former l’idée d’un Etre Eternel. Les dégrez ou l’entenduë dans laquelle nous attribuons à cet Etre ſuprême que nous appelons Dieu, l’exiſtence, la puiſſance, la ſageſſe, & toutes les autres Perfections dont nous pouvons avoir quelque idée, ces dégrez, dis-je, étant infinis & ſans bornes, nous nous formons par-là la meilleure idée que notre Eſprit ſoit capable de ſe faire de ce Souverain Etre ; & tout cela ſe fait, comme je viens de dire, en élargiſſant ces Idées ſimples qui nous viennent des opérations de notre Eſprit par la Reflexion, ou des choſes extérieures par le moyen des Sens, juſqu’à cette prodigieuſe étenduë ou l’Infinité peut les porter.

§. 35. Car c’eſt l’Infinité qui jointe à nos Idées d’exiſtence, de puiſſance, de connoiſſance, &c. conſtituë cette idée complexe, par laquelle nous repréſentons l’Etre ſuprême le mieux que nous pouvons. Car quoi que Dieu dans ſa propre eſſence, qui certainement nous eſt inconnuë à nous qui ne connoiſſons pa même l’eſſence d’un Caillou, d’un Moucheron ou de notre propre perſonne, ſoit ſimple & ſans aucune compoſition ; cependant je croi pouvoir dire que nous n’avons de Lui qu’une idée complexe d’exiſtence, de connoiſſance, de puiſſance, de félicité, &c. infinie & éternelle : toutes idées diſtinctes, & dont quelques-unes étant relatives, ſont compoſées de quelque autre idée. Et ce ſont toutes ces idées, qui procedant originairement de la Senſation & de la Reflexion, comme on l’a déja montré, compoſent l’idée ou notion que nous avons de Dieu.

§. 36.Dans les Idées complexes que nous avons des Eſprits, il n’y en a aucune que nous n’ayions reçuë de la Senſation ou de la Reflexion. Il faut remarquer, outre cela, qu’excepté l’Infinité, il n’y a aucune idée que nous attribuyons à Dieu, qui ne ſoit auſſi une partie de l’Idée complexe que nous avons des autres Eſprits. Parce que n’étant capables de recevoir d’autres Idées ſimples que celles qui appartiennent au Corps, excepté celles que nous recevons de la Reflexion que nous faiſons ſur les Opérations de notre propre Eſprit, nous ne pouvons attribuer d’autres Idées aux