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De nos Idées Complexes

tes que tout ce qui peut ſuivre de la notion d’une Subſtance immaterielle doûée d’intelligence.

§. 32.Nous ne connoiſſions rien au delà de nos Idées ſimples. Et c’eſt dequoi nous ne devons point être ſurpris, puiſque n’ayant que quelque petit nombre d’Idées ſuperficielles des choſes, qui nous viennent uniquement ou des Objets extérieurs à la faveur des Sens, ou de notre propre Eſprit reflechiſſant ſur ce qu’il éprouve en lui-même, notre connoiſſance ne s’étend pas plus avant, tant s’en faut que nous puiſſions pénétrer dans la conſtitution intérieure & la vraye nature des choſes, étant deſtituez des Facultez néceſſaires pour parvenir juſque-là. Puis donc que nous trouvons en nous-mêmes de la connoiſſance, & le pouvoir d’exciter du mouvement en conſéquence de notre volonté, & cela d’une maniére auſſi certaine que nous découvrons dans des choſes qui ſont hors de nous, une cohéſion & une diviſion de parties ſolides, en quoi conſiſte l’étenduë & le mouvement des Corps, nous avons autant de raiſon de nous contenter de l’Idée que nous avons d’un Eſprit immateriel, que de celles que nous avons du Corps, & d’être également convaincus de l’exiſtence de tous les deux. Car il n’y a pas plus de contradiction que la Penſée exiſte ſeparée & indépendante de la Solidité, qu’il y en a que la Solidité exiſte ſeparée & indépendante de la Penſée ; la Solidité & la Penſée n’étant que des Idées ſimples, indépendantes l’une de l’autre. Et comme nous trouvons d’ailleurs en nous-mêmes des idées auſſi claires & auſſi diſtinctes de la Penſée que de la Solidité, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas admettre auſſi bien l’exiſtence d’une choſe qui penſe ſans être ſolide, c’eſt-à-dire, qui ſoit immaterielle, que l’exiſtence d’une choſe ſolide qui ne penſe pas, c’eſt-à-dire, de la Matiére ; & ſur-tout, puiſqu’il n’eſt pas plus difficile de concevoir comment la penſée pourroit exiſter ſans Matiére que de comprendre comment la Matiére pourroit penſer. Car dès que nous voulons aller au delà des Idées Simples qui nous viennent par la Senſation ou par la Reflexion, & pénétrer plus avant dans la nature des Choſes, nous nous trouvons auſſi-tôt dans les ténèbres, & dans un embarras de difficultez inexplicables, & ne pouvons après tout découvrir autre choſe que notre ignorance & notre propre aveuglement. Mais quelle que ſoit la plus claire de ces deux Idées complexes, celle du Corps ou celle de l’Eſprit, il eſt évident que les Idées ſimples qui les compoſent ne ſont autre choſe que ce qui nous vient par Senſation ou par Reflexion. Il en eſt de même de toutes les autres Idées de Subſtances ſans en excepter celle de Dieu lui-même.

§. 33.Idée de Dieu. En effet, ſi nous examinons l’Idée que nous avons de cet Etre ſuprême & incompréhenſible, nous trouverons que nous l’acquerons par la même voye, & que les Idées complexes que nous avons de Dieu & des Eſprits purs, ſont compoſées des idées ſimples que nous recevons de la Reflexion. Par exemple, après avoir formé par la conſideration de ce que nous éprouvons en nous-mêmes, les idées d’exiſtence & de durée, de connoiſſance, de puiſſance, de plaiſir, de bonheur & de pluſieurs autres Qualitez & Puiſſances, qu’il eſt plus avantageux d’avoir que de n’avoir pas, lorſque nous voulons former l’idée la plus convenable à l’Etre ſuprême, qu’il nous eſt poſſible d’imaginer, nous étendons chacune de ces Idées par le moyen de celle