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XXVII
ELOGE DE M. LOCKE.

nées de ſa vie à Oates, Maiſon de Campagne de Mr. le Chevalier Masham, à vingt-cinq milles de Londres dans la Province d’Eſſex. Je prens plaiſir à m’imaginer que ce Lieu, ſi connu à tant de gens de mérite que j’ai vû s’y rendre de pluſieurs endroits de l’Angleterre pour viſiter M. Locke, ſera fameux dans la Poſterité par le long ſéjour qu’y a fait ce grand homme. Quoi qu’il en ſoit, c’eſt-là que jouïſſant quelquefois de l’entretien de ſes Amis, & conſtamment de la compagnie de Madame Masham, pour qui M. Locke avoit conçu depuis long-tems, une eſtime & une amitié toute particuliére, (malgré tout le mérite de cette Dame, elle n’aura aujourd’hui de moi que cette louange) il goûtoit des douceurs qui n’étoient interrompuës que par le mauvais état d’une ſanté foible & délicate. Durant cet agréable ſéjour, il s’attachoit ſur-tout à l’étude de l’Ecriture Sainte ; & n’employa preſque à autre choſe les derniéres années de ſa vie. Il ne pouvoit ſe laſſer d’admirer les grandes vûës de ce ſacré Livre, & le juſte rapport de toutes ſes parties : il y faiſoit tous les jours des découvertes qui lui fourniſſoient de nouveaux ſujets d’admiration. Le bruit eſt grand en Angleterre que ces découvertes ſeront communiquées au Public. Si cela eſt, tout le monde aura, je m’aſſûre, une preuve bien évidente de ce qui a été remarqué par tous ceux qui ont été auprès de M. Locke juſqu’à la fin de ſa vie, je veux dire que ſon Eſprit n’a jamais ſouffert aucune diminution, quoi que ſon Corps s’affoiblît de jour en jour d’une maniére aſſez ſenſible.

Ses forces commencérent à défaillir plus viſiblement que jamais, dès l’entrée de l’Eté dernier, Saiſon, qui les années précedentes avoit toûjours redonné quelques dégrez de vigueur. Dès-lors il prévit que la fin étoit fort proche. Il en parloit même aſſez ſouvent, mais toûjours avec beaucoup de ſerenité, quoi qu’il n’oubliât d’ailleurs aucune des précautions que ſon habileté dans la Medecine pouvoit lui fournir pour ſe prolonger la vie. Enfin ſes jambes commencerent à s’enfler ; & cette enflure augmentant tous les jours, ſes forces diminuerent à vûë d’œil. Il s’apperçut alors du peu de tems qui lui reſtoit à vivre ; & ſe diſpoſa à quitter ce Monde, pénétré de reconnoiſſance pour toutes les graces que Dieu lui avoit faites, dont il prenoit plaiſir à faire l’énumeration à ſes Amis, plein d’une ſincere reſignation à ſa Volonté, & d’une ferme eſpérance en ſes promeſſes, fondées ſur la parole de Jeſus-Chriſt envoyé dans le Monde pour mettre en lumiére la vie & l’immortalité par ſon Evangile.

Enfin les forces lui manquerent à tel point que le vingt-ſixième d’Octobre (1704.) deux jours avant ſa mort, l’étant allé voir dans ſon Cabinet, je le trouvai à genoux, mais dans l’impuiſſance de ſe relever de lui-même.

Le lendemain, quoi qu’il ne fût pas plus mal, il voulut reſter dans le lit. Il eut tout ce jour-là plus de peine à reſpirer que jamais : & vers les cinq heures du ſoir il lui prit une ſueur accompagnée d’une extrême foibleſſe qui fit craindre pour ſa vie. Il crut lui-même qu’il n’étoit pas loin de ſon dernier moment. Alors il recommanda qu’on ſe ſouvînt de lui dans la Priere du ſoir : là-deſſus Madame Masham lui dit que s’il le vouloit, toute la Famille viendroit prier Dieu dans ſa Chambre. Il répondit qu’il