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des Subſtances. Liv. II.

ple, ſur l’idée complexe qu’il a de l’Or, trouvera que la plûpart des Idées dont elle eſt compoſée, ne ſont que des Puiſſances ; ainſi la puiſſance d’être diſſous dans l’Eau Regale, ſont des Idées qui compoſent auſſi néceſſairement l’idée complexe que nous avons de l’Or, que ſa couleur & ſa peſanteur, qui, à le bien prendre, ne ſont auſſi que différentes Puiſſances. Car à parler exactement, la Couleur jaune n’eſt pas actuellement dans l’Or, mais c’eſt une Puiſſance que ce Metal a d’exciter cette idée en nous par le moyen de nos yeux, lorſqu’il eſt dans ſon veritable jour. De même, la chaleur que nous ne pouvons ſéparer de l’idée que nous avons du Soleil, n’eſt pas plus réellement dans le Soleil que la blancheur que cet Aſtre produit dans la Cire. L’une & l’autre ſont également de ſimples Puiſſances dans le Soleil, qui par le mouvement & la figure de ſes parties inſenſibles opère tantôt ſur l’Homme en lui faiſant avoir l’idée de la Chaleur, & tantôt ſur la Cire en la rendant capable d’exciter dans l’Homme l’idée du Blanc.

§. 11.Les ſecondes Qualitez que nous remarquons préſentement dans les Corps, diſparoitroient ſi nous venions à découvrir les prémiéres Qualitez de leurs plus petites parties. Si nous avions les Sens aſſez vifs pour diſcerner les petites particules des Corps, & la conſtitution réelle d’où dépendent leurs Qualitez ſenſibles, je ne doute pas qu’ils ne produiſiſſent de tout autres idées en nous : que la couleur jaune, par exemple, qui eſt préſentement dans l’Or, ne diſparût ; & qu’au lieu de cela, nous ne viſſions une admirable contexture de parties, d’une certaine groſſeur & figure. C’eſt ce qui paroît évidemment par les Microſcopes, car ce qui vû ſimplement des yeux, nous donne l’idée d’une certaine couleur, ſe trouve tout autre choſe, lorſque notre vûë vient à s’augmenter par le moyen d’un Microſcope : de ſorte que cet Inſtrument changeant, pour ainſi dire, la proportion qui eſt entre la groſſeur des particules de l’Objet coloré & notre vûë ordinaire, nous fait avoir des idées différentes de celles que le même Objet excitoit auparavant en nous. Ainſi, le ſable ou le verre pilé, qui nous paroit opaque & blanc, eſt tranſparent dans un Microſcope ; & un cheveu que nous regardons à travers cet Inſtrument, perd auſſi ſa couleur ordinaire, & paroit tranſparent pour la plus grande partie, avec un mélange de quelques couleurs brillantes, ſemblables à celles qui ſont produites par la refraction d’un Diamant ou de quelque autre Corps pellucide. Le Sang nous paroît tout rouge ; mais par le moyen d’un bon Microſcope qui nous découvre ſes plus petites parties, nous n’y voyons que quelques Globules rouges en fort petit nombre, qui nagent dans une liqueur tranſparente ; & l’on ne ſait de quelle maniére paroîtroient ces Globules rouges, ſi l’on pouvoit trouver des Verres qui les puſſent groſſir mille ou dix mille fois davantage.

§. 12.Les Facultez qui nous ſervent à connoître les choſes, ſont proportionnées à notre état dans ce Monde. Dieu qui par ſa ſageſſe infinie nous a fait tels que nous ſommes, avec toutes les choſes qui ſont autour de nous, a diſpoſé nos Sens, nos Facultez, & nos Organes de telle ſorte qu’ils puſſent nous ſervir aux néceſſitez de cette vie, & à ce que nous avons à faire dans ce Monde. Ainſi, nous pouvons par le ſecours des Sens, connoître & diſtinguer les choſes, les examiner autant qu’il eſt néceſſaire pour les appliquer à notre uſage, & les employer, en différentes maniéres, à nos beſoins dans cette vie. Et en effet, nous pénétrons aſſez avant dans leur admirable conforma-