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De nos Idées Complexes

combinaiſons d’Idées ſimples qu’on acquiert par la Senſation & par la Réflexion : & c’eſt là, à mon avis, ce que j’ai fait.


CHAPITRE XXIII.

De nos Idées Complexes des Subſtances.


§. 1.Idées des Subſtances comment formées.
LEsprit étant fourni, comme j’ai déja remarqué, d’un grand nombre d’Idées ſimples qui lui ſont venuës par les Sens ſelon les diverſes impreſſions qu’ils ont reçu des Objets extérieurs, ou par la Reflexion qu’il fait ſur ſes propres opérations, remarque outre cela, qu’un certain nombre de ces Idées ſimples vont conſtamment enſemble, qui étant regardées comme appartenantes à une ſeule choſe, ſont déſignées par un ſeul nom lors qu’elles ſont ainſi réunies dans un ſeul ſujet, par la raiſon que le Langage eſt accommodé aux communes conceptions, & que ſon principal uſage eſt de marquer promptement ce qu’on a dans l’Eſprit. De là vient, que quoi que ce ſoit véritablement un amas de pluſieurs idées jointes enſemble, dans la ſuite nous ſommes portez par inadvertance à en parler comme d’une ſeule Idée ſimple, & à les conſiderer comme n’étant effectivement qu’une ſeule Idée ; parce que, comme j’ai déja dit, ne pouvant imaginer comment ces Idées ſimples peuvent ſubſiſter par elles-mêmes, nous nous accoûtumons à ſuppoſer quelque * * Subſtranum. Voyez la remarque qui a été faite ſur ce mot, pag. 52. L.I. Ch. III. §. 18.
Quelle eſt notre Idée de Subſtance en général.
choſe qui les ſoûtienne, où elles ſubſiſtent, & d’où elles reſultent, à qui pour cet effet on a donné le nom de Subſtance.

§. 2. De ſorte que qui voudra prendre la peine de ſe conſulter ſoi-même ſur la notion qu’il a de la pure Subſtance en général, trouvera qu’il n’en a abſolument point d’autre que de je ne ſai quel ſujet qui lui eſt tout-à-fait inconnu, & qu’il ſuppoſe etre le ſoûtien des Qualitez qui ſont capables d’exciter des Idées ſimples dans notre Eſprit, Qualitez qu’on nomme communément les Accidents. En effet, qu’on demande à quelqu’un ce que c’eſt que le ſujet dans lequel la Couleur ou le Poids exiſtent, il n’aura autre choſe à dire ſinon que c’eſt que la choſe dans laquelle la ſolidité & l’étenduë ſont inhérentes, il ne ſera pas moins en peine que l’Indien dont * * Pag. 126. L. II. Ch. XIII. §. 19. nous avons déja parlé, qui ayant dit que la Terre étoit ſoûtenuë par un grand Elephant, répondit à ceux qui demandèrent ſur quoi s’appuyoit cet Elephant, que c’étoit ſur une grande Tortuë, & qui étant encore preſſé de dire ce qui ſoutenoit la Tortuë, répliqua que c’étoit quelque choſe, un je ne ſai quoi qu’il ne connoiſſoit pas. Dans cette rencontre auſſi bien que dans pluſieurs autres où nous employons des mots ſans avoir des idées claires & diſtinctes de ce que nous voulons dire, nous parlons comme des Enfans, à qui l’on n’a pas plûtot demandé ce que c’eſt qu’une telle choſe qui leur eſt inconnuë, qu’ils font cette réponſe fort ſatisfaiſante à leur gré, que c’eſt quelque choſe ; mais qui employée de cette maniére ou par des Enfans ou par des Hommes