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De la Puiſſance. Liv. II.

impreſſion de la part de quelque Agent extérieur ; de ſorte qu’en ce cas-là, la Puiſſance n’eſt pas proprement dans le ſujet une Puiſſance active, mais une pure capacité paſſive. Quelquefois, la Subſtance ou l’Agent ſe met en action par ſa propre puiſſance, & c’eſt là proprement une Puiſſance active. On appelle Action, toute modification qui ſe trouve dans une Subſtance par laquelle modification cette Subſtance produit quelque effet ; par exemple, qu’une Subſtance ſolide agiſſe par le moyen du mouvement ſur les Idées ſenſibles de quelque autre Subſtance, ou y cauſe quelque alteration, nous donnons à cette modification du mouvement le nom d’Action. Cependant, à bien conſiderer la choſe, ce mouvement n’eſt dans cette Subſtance ſolide qu’une ſimple paſſion, ſi elle le reçoit uniquement de quelque Agent extérieur. Et par conſéquent, la Puiſſance active de mouvoir ne ſe trouve dans aucune Subſtance, qui étant en repos ne ſauroit commencer le mouvement en elle-même, ou dans quelque Subſtance. De même, à l’égard de la Penſée, la puiſſance de recevoir des idées ou des penſées par l’opération de quelque Subſtance extérieure, s’appelle Puiſſance de penſer, mais ce n’eſt dans le fond qu’une Puiſſance paſſive, ou une ſimple capacité. Mais le pouvoir que nous avons de rappeller, quand nous voulons, des Idées abſentes, & de comparer enſemble celles que nous jugeons à propos, eſt véritablement un Pouvoir actif. Cette reflexion peut nous empêcher de tomber, à l’égard de ce qu’on nomme Puiſſance & Action, dans des erreurs, où la Grammaire & le tour ordinaire des Langues peuvent nous engager facilement, parce que ce qui eſt ſignifié par les verbes que les Grammairiens nomment Actifs, ne ſignifie pas toûjours l’Action : Par exemple, ces Propoſitions, Je vois la Lune, ou une Etoile, Je ſens la chaleur du Soleil, quoi qu’exprimées par un verbe actif, ne ſignifient en moi aucune action par où, j’opère ſur ces Subſtances mais ſeulement la reception des idées de lumiére, de rondeur & de chaleur ; en quoi je ne ſuis point actif, mais purement paſſif ; de ſorte que, poſé l’état où ſont mes yeux ou mon Corps, je ne ſaurois éviter de recevoir ces Idées. Mais lorſque je tourne mes yeux d’un autre côté, ou que j’éloigne mon Corps des rayons du Soleil, je ſuis proprement actif, parce que par mon propre choix, & par une puiſſance que j’ai en moi-même, je me donne ce mouvement-là ; & une telle action eſt la production d’une Puiſſance Active.

§. 73. Juſqu’ici j’ai expoſé comme dans un petit Tableau nos Idées Originales d’où toutes les autres viennent, & dont elles ſont compoſées. De ſorte que, ſi l’on vouloit examiner ces dernieres en Philoſophe, & voir quelles en ſont les cauſes & la matiére, je croi qu’on pourroit les reduire à ce petit nombre d’Idées primitives & originales, ſavoir,

    L’Etenduë,
    La Solidité,
    La Mobilité ou la Puiſſance d’être mû :
Idées que nous recevons du Corps par le moyen des Sens :
    La Perceptivité, ou la Puiſſance d’appercevoir ou de penſer,
    La Motivité, ou la Puiſſance de mouvoir. (Qu’on me permet-