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De la Puiſſance. Liv. II.

ma Liberté eſt détruite, parce que je ſuis dans la néceſſité de laiſſer mouvoir ma main. J’ai ajoûté ceci pour faire voir dans quelle ſorte d’Indifférence il me paroit que la Liberté conſiſte préciſément, & qu’elle ne peut conſiſter dans aucune autre, réelle ou imaginaire.

§.72. Il eſt d’une ſi grande importance d’avoir de véritables notions ſur la nature & l’étenduë de la Liberté, que j’eſpere qu’on me pardonnera cette Digreſſion où m’a engagé le deſir d’éclaircir une matiére ſi abſurde. Les Idées de Volonté, de Volition, de Liberté & de Néceſſité ſe préſentoient naturellement dans ces choſes dans la prémiére Edition de cet Ouvrage, ſuivant les lumiéres que j’avois alors ; mais en qualité d’amateur ſincére de la Vérité qui n’adore nullement ſes propres conceptions, j’avoûë que j’ai fait quelque changement dans mon opinion, croyant y être ſuffiſamment autoriſé par des raiſons que j’ai découvertes depuis la prémiére publication de ce Livre. Dans ce que j’écrivis d’abord, je ſuivis avec une entiére indifférence la Vérité, où je croyois qu’elle me conduiſoit. Mais comme je ne ſuis pas aſſez vain pour prétendre à l’Infaillibilité, ni ſi entêté d’un faux honneur que je veuille cacher mes fautes de peur de ternir ma reputation, je n’ai pas eu honte de publier, dans le même deſſein de ſuivre ſincerement la Vérité, ce qu’une recherche plus exacte m’a fait connoître. Il pourra bien arriver, que certaines gens croiront mes prémiéres penſées plus juſtes ; que d’autres, comme j’en ai déja trouvé, approuveront les derniéres ; & que quelques-uns ne trouveront ni les unes ni les autres à leur gré. Je ne ferai nullement ſurpris d’une telle diverſité de ſentimens ; parce que c’eſt une choſe aſſez rare parmi les hommes que de raiſonner ſans aucune prévention ſur des points controverſez, & que d’ailleurs il n’eſt pas fort aiſé de faire des déductions exactes dans des ſujets abſtraits ; & ſur tout lorſqu’elles ſont de quelque étenduë. C’eſt pourquoi je me croirai fort redevable à quiconque voudra prendre la peine d’éclaircir ſincerement les difficultez qui peuvent reſter dans cette matiére de la Liberté, ſoit en raiſonnant ſur les fondemens que je viens de poſer, ou ſur quelque autre que ce ſoit. Du reſte, avant que de finir ce Chapitre, je croi que, pour avoir des Idées plus diſtinctes de la Puiſſance, il ne ſera ni hors de propos ni inutile de prendre une plus exacte connoiſſance de ce qu’on nomme Action. J’ai déja dit ** Pag 180. §. 4. au commencement de ce Chapitre, qu’il n’y a que deux ſortes d’Actions dont nous ayions d’idées, ſavoir, le Mouvement & la Penſée. Or quoi qu’on donne à ces deux choſes le nom d’Action, & qu’on les conſidére comme telles, on trouvera pourtant, à les conſiderer de près, que cette Qualité ne leur convient pas toûjours parfaitement. Et ſi je ne me trompe, il y a des exemples de ces deux eſpèces de choſes, qu’on reconnoîtra, après les avoir examinées exactement, pour des Paſſions plûtôt que pour des Actions, & par conſéquent, pour de ſimples effets de puiſſances paſſives dans des ſujets qui pourtant paſſent à leur occaſion pour véritables Agents. Car dans ces exemples, la Subſtance en qui ſe trouve le mouvement ou la penſée, reçoit purement de dehors l’impreſſion par où l’action lui eſt communiquée ; & ainſi, elle n’agit que par la ſeule capacité qu’elle a de recevoir une telle