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De la Puiſſance. Liv. II.

à nous & que nous deſirons dans ce temps-là, fait partie de notre Bonheur réel, ou bien s’il y eſt contraire, ou non. Le reſultat de notre Jugement en conſéquence de cet examen, c’eſt ce qui, pour ainſi dire, détermine en dernier reſſort l’Homme, qui ne ſauroit être Libre, ſi ſa Volonté étoit déterminée par autre choſe que par ſon propre Deſir guidé par ſon propre Jugement.

Je ſai que certaines gens font conſiſter la Liberté dans une certaine Indifférence de l’Homme, antecedente à la détermination de ſa Volonté. Je ſouhaiterois que ceux qui font tant de fond ſur cette indifférence antecedente, comme ils parlent, nous euſſent dit nettement ſi cette indifférence antecedente, comme ils parlent, nous euſſent dit nettement ſi cette indifférence qu’ils ſuppoſent, précede la connoiſſance & le jugement de l’Entendement, auſſi bien que la détermination de la Volonté ; car il eſt bien malaiſé de la placer entre ces deux termes, je veux dire immédiatement après le jugement de l’Entendement & avant la détermination de la Volonté, parce que la détermination de la Volonté ſuit immédiatement le jugement de l’Entendement : & d’ailleurs, placer la Liberté dans une Indifférence qui précede la penſée & le jugement de l’Entendement, c’eſt, ce me ſemble, faire conſiſter la Liberté dans un état de ténèbres où l’on ne peut ni voir ni dire ce que c’eſt : C’eſt du moins la placer dans un ſujet incapable de Liberté, nul Agent n’étant jugé capable de Liberté qu’en conſéquence de la penſée & du jugement qu’on reconnoît en lui. Comme je ne ſuis pas délicat en fait d’expreſſions, je conſens à dire avec ceux qui aiment à parler ainſi, que la Liberté conſiſte dans l’Indifférence ; mais dans une Indifférence qui reſte après le Jugement de l’Entendement, & même après la détermination de la Volonté : ce qui n’eſt pas une Indifférence de l’Homme, (car après que l’Homme a une fois jugé ce qu’il eſt meilleur de faire ou de ne pas faire, il n’eſt plus indifférent) mais une Indifférence des Puiſſances actives ou opératives de l’Homme, lesquelles demeurant tout autant capables d’agir ou de ne pas agir, après qu’avant la détermination de la Volonté, ſont dans un état qu’on peut appeller Indifférence, ſi l’on veut : & auſſi loin que cette Indifférence s’étend, jusque-là l’Homme eſt libre, & non au delà. Par exemple, j’ai la puiſſance de mouvoir ma main, ou de la laiſſer en repos : cette faculté opérative eſt indifférente au mouvement & au repos de ma main : je ſuis libre à cet égard. Ma Volonté vient-elle à déterminer cette puiſſance opérative au repos : je ſuis encore libre, parce que l’indifférence de cette puiſſance opérative qui eſt en moi d’agir ou de ne pas agir reſte encore ; la puiſſance de mouvoir ma main n’étant nullement diminuée par la détermination de ma Volonté qui à préſent ordonne le repos. L’indifférence de cette puiſſance à agir ou à ne pas agir, eſt toute telle qu’elle étoit auparavant, comme il paroîtra ſi la Volonté veut en faire l’épreuve en ordonnant le contraire. Mais ſi pendant le temps que ma main eſt en repos, elle vient à être ſaiſie d’une ſoudaine paralyſie, l’indifférence de cette Puiſſance opérative eſt détruite, & ma Liberté avec elle : je n’ai plus de liberté à cet égard, mais je ſuis dans la néceſſité de laiſſer ma main en repos. D’un autre côté ſi ma main eſt miſe en mouvement par une convulſion, l’indifférence de cette faculté opérative s’évanouït, & en ce cas--