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De la Puiſſance. Liv. II.

en liberté de vouloir ou non. A quoi l’on a déjà répondu, que dans la plûpart des cas un homme n’eſt pas en liberté de ne pas vouloir ; qu’il eſt obligé de produire un acte de ſa Volonté d’où s’enſuit l’exiſtence ou la non-exiſtence de l’action propoſée. Il y a pourtant un cas où l’Homme eſt en liberté par rapport à l’action de vouloir : c’eſt lorſqu’il s’agit de choiſir un bien éloigné comme une fin à obtenir. Dans cette occaſion un homme peut ſuſpendre l’acte de ſon choix : il peut empêcher que cet Acte ne ſoit déterminé pour ou contre la choſe propoſée, juſqu’à ce qu’il ait examiné ſi la choſe eſt, de ſa nature & dans ſes conſéquences, véritablement propre à le rendre heureux ou non. Car lorſqu’il a une fois choiſie, & que par-là elle eſt venüe à faire partie de ſon bonheur, elle excite un deſir en lui : & ce deſir lui cauſe, à proportion de ſa violence, une inquiétude qui détermine ſa Volonté, & lui fait entreprendre la pourſuite de ſon choix dans toutes les occaſions qui s’en préſentent. Et ici, nous pouvons voir comment il arrive qu’un homme peut ſe rendre juſtement digne de punition : quoi qu’il ſoit indubitable que dans toutes les actions particulières qu’il veut, il veut néceſſairement ce qu’il juge être bon dans le temps qu’il le veut. Car bien que ſa Volonté ſoit toûjours déterminée à ce que ſon Entendement lui fait juger être bon, cela ne l’excuſe pourtant pas : parce que par un choix précipité qu’il a fait lui-même, il s’eſt impoſé de fauſſes meſures du Bien & du Mal, qui toutes fauſſes & trompeuſes qu’elles ſont, ont autant d’influence ſur toute ſa conduite à venir, que ſi elles étoient juſtes & véritables. Il a corrompu ſon palais, & doit être reſponſable à lui-même de la maladie & de la mort qui s’en enſuit. La Loi éternelle & la nature des choſes ne doit pas être alterée pour être adaptée à ſon choix mal reglé. Si l’abus qu’il a fait de cette Liberté qu’il avoit d’examiner ce qui pourroit ſervir réellement & veritablement ſon bonheur, c’eſt à ſon propre choix qu’il faut en attribuer la cauſe. Il avoit le pouvoir de ſuſpendre la détermination : ce pouvoir lui avoit été donné afin qu’il pût examiner, prendre ſoin de ſa propre felicité, & voir de ne pas ſe tromper ſoi-même : & il ne pouvoit point juger qu’il valût mieux être trompé que de ne l’être pas, dans un point d’une ſi haute importance, & qui le touche de ſi près. Ce que nous avons dit juſqu’ici, peut encore nous faire voir la raiſon pourquoi les Hommes ſe déterminent dans ce Monde à différentes choſes, & recherchent le bonheur par des chemins oppoſez. Mais comme ils ont conſtamment & ſerieuſement les mêmes penſées à l’égard du Bonheur & de la Miſére, il reſte toûjours à examiner, d’où vient que les Hommes préferent ſouvent le pire à ce qui eſt meilleur ; & choiſiſſent ce qui de leur propre aveu, les a rendus miſerables.

§. 57. Pour rendre raiſon de tous les Chemins différens & oppoſez que les Hommes prennent dans ce Monde, quoi que tous aſpirent également au Bonheur, il faut conſiderer d’où naiſſent les diverſes inquiétudes qui déterminent la Volonté au choix de chaque action volontaire.

I.Les Douleurs du Corps. Quelques-unes proviennent de certaines cauſes qui ne ſont pas en notre puiſſance, comme ſont fort ſouvent les Douleurs du Corps, produites