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De la Puiſſance. Liv. II.

tif qui incite à changer c’eſt toûjours quelque [1] inquiétude, rien ne nous portant à changer d’état, ou à quelque nouvelle action, que quelque inquiétude. C’eſt là, dis-je, le grand motif qui agit ſur l’Eſprit pour le porter à quelque action, ce que je nommerai, pour abreger, déterminer la volonté, & que je vais expliquer plus au long dans ce même Chapitre.

§. 30.La Volonté & le Deſir ne doivent pas être confondus. Pour entrer dans cet examen, il eſt néceſſaire de remarquer avant toutes choſes, que, bien que j’aye tâché d’exprimer l’acte de volition par les termes de choiſir, préférer, & autres ſemblables qui ſignifient auſſi bien le Deſir que la Volition, & cela faute d’autres mots pour marquer cet Acte de l’Eſprit dont le nom propre eſt Vouloir ou Volition ; cependant comme c’eſt un Acte fort ſimple, quiconque ſouhaite de concevoir ce que c’eſt, le comprendra beaucoup mieux en refléchiſſant ſur ſon propre Eſprit, & obſervant ce qu’il fait lorſqu’il veut, que par tous les différens ſons articulez qu’on peut employer pour l’exprimer. Et d’ailleurs, il eſt à propos de ſe précautionner contre l’erreur où nous pourroient jetter des expreſſions qui ne marquent pas aſſez la différence qu’il y a entre la Volonté, & divers Actes de l’Eſprit tout-à-fait différens de la Volonté. Cette précaution, dis-je, eſt d’autant plus néceſſaire, à mon avis, que j’obſerve que la Volonté eſt ſouvent confonduë avec différentes Affectations de l’Eſprit, & ſur-tout, avec le Déſir ; de ſorte que l’un eſt ſouvent mis pour l’autre, & cela ** M. Locke en vouloit ici au P. Malebranche. par des gens qui ſeroient fâchez qu’on les ſoupçonnât de n’avoir pas des idées fort diſtinctes des choſes, & de n’en avoir pas écrit avec une extrême clarté. Cette mépriſe n’a pas été, je penſe, une des moindres occaſions de l’obſcurité & des égaremens où l’on eſt tombé ſur cette matiére. Il faut donc tâcher de l’éviter autant que nous pourrons. Or quiconque refléchira en lui-même ſur ce qui ſe paſſe dans ſon Eſprit lorſqu’il veut, trouvera que la Volonté ou la puiſſance de vouloir ne ſe rapporte qu’à nos propres Actions, qu’elle ſe termine là, ſans aller plus loin, & que la Volition n’eſt autre choſe que cette détermination particuliére de l’Eſprit par laquelle il tâche, par un ſimple effet de la penſée, de produire, continuer, ou arrêter une action qu’il suppoſe être en ſon pouvoir. Cela bien conſideré prouve évidemment que la Volonté eſt parfaitement diſtincte du Déſir, qui dans la même Action peut avoir un but tout-à-fait différent de celui où nous porte notre Volonté. Par exemple, un Homme que je ne ſaurois refuſer, peut m’obliger à me ſervir de certaines paroles pour perſuader un autre homme ſur l’Eſprit de qui je puis souhaiter de ne rien gagner, dans le même temps que je lui parle. Il eſt viſible que dans ce cas-là la Volonté & le Deſir ſe trouvent en parfaite oppoſition ; car je veux une action qui tend d’un côté, pendant que mon Deſir

  1. Uneaſineſs. C’eſt le mot Anglois que le terme d’Inquiétude ne rend qu’imparfaitement. Voyez ce que j’ai dit ci-deſſus dans une Note ſur ce mot, Ch. XX. § 6 pag. 176. Il importe ſurtout ici d’avoir dans l’Eſprit ce qui a été remarqué dans cet endroit, pour bien entendre ce que l’Auteur va dire dans le reſte de ce Chapitre ſur ce qui nous détermine à cette ſuite d’actions dont notre vie eſt compoſée.