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De la Puiſſance. Liv. II.

§. 27.Ce que c’eſt que Liberté. Prémiérement donc, il faut ſe bien reſſouvenir, Que la Liberté conſiſte dans la dépendance de l’exiſtence ou de la non-exiſtence d’une Action d’avec la préference de notre Eſprit ſelon qu’il veut agir ou ne pas agir, & non dans la dépendance d’une Action ou de celle qui lui eſt oppoſée d’avec notre préference. Un homme qui eſt ſur un Rocher, eſt en liberté de ſauter vingt braſſes en bas dans la Mer, non pas à cauſe qu’il a la puiſſance de faire le contraire, qui eſt de ſauter vingt braſſes en haut, car c’eſt ce qu’il ne fauroit faire ; mais il eſt libre, parce qu’il a la puiſſance de ſauter ou de ne pas ſauter. Que ſi une plus grande force que la ſienne le retient, ou le pouſſe en bas, il n’eſt plus libre à cet égard, par la raiſon qu’il n’eſt plus en ſa puiſſance de faire ou de s’empêcher de faire cette action. Un Priſonnier enfermé dans une Chambre de vingt piés en quarré, lorſqu’il eſt au Nord de la Chambre, eſt en liberté d’aller l’eſpace de vingt piés vers le Midi, parce qu’il peut parcourir tout cet Eſpace ou ne le parcourir. Mais dans le même temps il n’eſt pas en liberté de faire le contraire, je veux dire d’aller vingt piés vers le Nord.

Voici donc en quoi conſiſte la Liberté, c’eſt en ce que nous ſommes capables d’agir ou de ne pas agir, en conſéquence de notre choix, ou volition.

§. 28.Ce que c’eſt que Volition. Nous devons nous ſouvenir, en ſecond lieu, que la Volition eſt un acte de l’Eſprit, dirigeant ſes penſées à la production d’une certaine action, & par-là mettant en œuvre la puiſſance qu’il a de produire cette action. Pour éviter une ennuyeuſe multiplication de paroles, je demanderai ici la permiſſion de comprendre ſous le terme d’Action, l’abſtinence même d’une action que nous nous propoſons en nous-mêmes, comme être aſſis, ou demeurer dans le ſilence, lorſque l’action de ſe promener, ou de parler ſont propoſées ; car quoi que ce ſoient de pures abſtinences d’une certaine action, cependant comme elles demandent auſſi bien la détermination de la Volonté, & ſont ſouvent auſſi importantes dans leurs ſuites, que les Actions contraires, on eſt aſſez autoriſé par ces conſiderations-là, à les regarder auſſi comme des Actions. Ce que je dis pour empêcher qu’on ne prenne mal le ſens de mes paroles, ſi pour abreger je parle quelquefois ainſi.

§. 29. Qu’eſt-ce qui détermine la Volonté ? En troiſième lieu, comme la Volonté n’eſt autre choſe que cette Puiſſance que l’Eſprit a de diriger les Facultez operatives de l’Homme, au Mouvement ou au Repos, autant qu’elles dépendent d’une telle direction ; lorſqu’on demande, Qu’eſt-ce qui détermine la Volonté ? la veritable réponſe qu’on doit faire à cette Queſtion, conſiſte à dire, que c’eſt l’Eſprit qui détermine la Volonté. Car ce qui détermine la puiſſance générale de diriger à telle ou telle direction particuliére, n’eſt autre choſe que l’Agent lui-même qui exerce ſa puiſſance de cette maniére particuliére. Si cette Réponſe ne ſatiſait pas, il eſt viſible que le ſens de cette Queſtion ſe réduit à ceci, Qu’eſt-ce qui pouſſe l’Eſprit, dans chaque occaſion particuliére, à déterminer à tel mouvement ou à tel repos particulier la puiſſance générale qu’il a de diriger ſes facultez ver le Mouvement ou le Repos ? A quoi je répons, que le motif qui nous porte à demeurer dans le même état ou à continuer la même action, c’eſt uniquement la ſatisfaction préſente qu’on y trouve. Au contraire le mo-