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De la Puiſſance. Liv. II.


§. 22.L’Homme n’eſt pas libre par rapport à l’action de vouloir. Mais les hommes dont le genie eſt naturellement fort curieux, deſirant d’éloigner de leur Eſprit, autant qu’ils peuvent, la penſée d’être coupables, quoi que ce ſoit en ſe réduiſant dans un état pire que celui d’une fatale néceſſité, ne ſont pas ſatiſfaits de cela. A moins que la Liberté ne s’étende encore plus loin, ils n’y trouvent pas leur compte ; & ſi l’homme n’a auſſi bien la liberté de vouloir, que celle de faire ce qu’il veut, c’eſt, à leur avis, une fort bonne preuve, que l’Homme n’eſt point libre. C’eſt pourquoi l’on fait encore cette autre Queſtion ſur la Liberté de l’Homme, ſi l’Homme eſt libre de vouloir ; car c’eſt là, je penſe, ce qu’on veut dire, lorſqu’on diſpute, ſi la Volonté eſt libre ou non.

§. 23. Sur quoi je croi, II. Que vouloir ou choiſir étant une Action, & la Liberté conſiſtant dans le pouvoir d’agir ou de ne pas agir, un Homme ne ſauroit être libre par rapport à cet Acte particulier de vouloir une action qui eſt en ſa puiſſance, lorsque cette Action a été une fois propoſée à ſon Eſprit, comme devant être faite ſur le champ. La raiſon en eſt toute viſible ; car l’Action dépendant de ſa Volonté, il faut de toute néceſſité qu’elle exiſte ou qu’elle n’exiſte pas, & ſon exiſtence ou ſa non-exiſtence ne pouvant manquer de ſuivre exactement la détermination & le choix de ſa Volonté, il ne peut éviter de vouloir l’exiſtence ou la non-exiſtence de cette Action, il eſt, dis-je, abſolument néceſſaire qu’il veuille l’un ou l’autre, c’eſt à dire, qu’il préfere l’un à l’autre, puisque l’un des deux doit ſuivre néceſſairement, & que la choſe qui ſuit, procede du choix & de la détermination de ſon Eſprit, c’eſt à dire, de ce qu’il la veut, car s’il ne la vouloit pas, elle ne ſeroit point. Et par conſéquent, dans un tel cas l’Homme n’eſt point libre par rapport à l’acte même de vouloir, la Liberté conſiſtant dans la puiſſance d’agir ou de ne pas agir, puiſſance que l’Homme n’a point alors par rapport à la [1] Volition. Car un Homme eſt dans une néceſſité inévitable de choiſir de faire ou de ne pas faire une Action qui eſt en ſa puiſſance lorsqu’elle a été ainſi propoſée à ſon Eſprit. Il doit néceſſairement vouloir l’un ou l’autre ; & ſur cette préference ou volition, l’action ou l’abſtinence de cette action ſuit certainement, & ne laiſſe pas d’être abſolument volontaire. Mais l’acte de vouloir ou de préferer l’un des deux étant une choſe qu’il ne ſauroit éviter, il eſt néceſſité par rapport à cet acte de vouloir, & ne peut, par conſéquent, être libre à cet égard ; à moins que la Néceſſité & la Liberté ne puiſſent ſubſtituer enſemble, & qu’un homme ne puiſſe être libre, & lié à la fois.

§. 24. Il eſt donc évident, qu’un Homme n’eſt pas en liberté de vouloir ou de ne pas vouloir une choſe qui eſt en ſa puiſſance, dans toutes les occaſions où l’action lui eſt propoſée à faire ſur le champ, la Liberté conſiſtant dans la puiſſance d’agir ou de s’empêcher d’agir, & en cela ſeulement. Car un homme qui eſt aſſis, eſt dit être en liberté, parce qu’il peut ſe promener s’il veut. Un homme qui ſe promene, eſt auſſi en liberté, non parce qu’il ſe promene & ſe meut lui-même, mais parce qu’il peut s’arrêter s’il veut.

  1. Pour bien entrer dans le ſens de l’Auteur, il faut toujours avoir dans l’Eſprit ce qu’il entend par Volition, & Volonté, comme il l’a expliqué ci-deſſus §. 5. & §. 15. Cela ſoit dit une fois pour toutes.