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XXII
ELOGE DE M. LOCKE.

ſoin : mais enfin ayant reconnu que les bons Conſeils ne ſervent point à rendre les gens plus ſages, il devint beaucoup plus retenu ſur cet article. Je lui ai ſouvent entendu dire que la prémiere fois qu’il ouït cette Maxime, elle lui avoit paru fort étrange, mais que l’experience lui en avoit montré clairement la vérité. Par Conſeils il faut entendre ici ceux qu’on donne à des gens qui n’en demandent point. Cependant quelque deſabuſé qu’il fût de l’eſperance de redreſſer ceux à qui il voyoit prendre de fauſſes meſures ; ſa bonté naturelle, l’averſion qu’il avoit pour le déſordre, & l’intérêt qu’il prenoit en ceux qui étoient autour de lui, le forçoient, pour ainſi dire, à rompre quelquefois la réſolution qu’il avoit priſe de les laiſſer en repos ; & à leur donner les avis qu’il croyoit propres à les ramener : mais c’étoit toûjours d’une maniére modeſte, & capable de convaincre l’Eſprit par le ſoin qu’il prenoit d’accompagner ſes avis de raiſons ſolides qui ne lui manquoient jamais au beſoin.

Du reſte, M. Locke étoit fort liberal de ſes avis lors qu’on les lui demandoit : & l’on ne le conſultoit jamais en vain. Une extréme vivacité d’Eſprit, l’une de ſes Qualitez dominantes, en quoi il n’a peut-être eu jamais d’égal, ſa grande experience & le deſir ſincere qu’il avoit d’être utile à tout le monde, lui fourniſſoient bientôt les expediens les plus juſtes & les moins dangereux. Je dis les moins dangereux ; car ce qu’il ſe propoſoit avant toutes choſes, étoit de ne faire aucun mal à ceux qui le conſultoient. C’étoit une de ſes Maximes favorites qu’il ne perdoit jamais de vûë dans l’occaſion.

Quoi que M. Locke aimât ſur-tout les véritez utiles ; qu’il en nourrît ſon Eſprit ; & qu’il fût bien aiſe d’en faire le sujet de ſes Converſations, il avoit accoûtumé de dire, que pour employer utilement une partie de cette vie à des occupations ſerieuſes, il falloit en paſſer une autre à de ſimples divertiſſemens ; & lors que l’occaſion s’en préſentoit naturellement, il s’abandonnoit avec plaiſir aux douceurs d’une Converſation libre & enjoûée. Il ſavoit pluſieurs Contes agréables dont il ſe ſouvenoit à propos ; & ordinairement il les rendoit encore plus agréables par la manière fine & aiſée dont il les racontoit. Il aimoit aſſez la raillerie, mais une raillerie délicate, & tout-à-fait innocente.

Perſonne n’a jamais mieux entendu l’art de s’accommoder à la portée de toute ſorte d’Eſprits ; qui eſt, à mon avis, l’une des plus ſûres marques d’un grand genie.

Une de ſes addreſſes dans la Converſation étoit de faire parler les gens ſur ce qu’ils entendoient le mieux. Avec un jardinier il s’entretenoit de jardinage, avec un Joaillier de pierreries, avec un Chimiſte de Chimie, &c. « Par-là, diſoit-il lui-même, je plais à tous ces gens-là, qui pour l’ordinaire ne peuvent parler pertinemment d’autre choſe. Comme ils voyent que je fais cas de leurs occupations, ils ſont charmés de me faire voir leur habileté ; & moi, je profite de leur entretien ». Effectivement, M. Locke avoit acquis par ce moyen une aſſez grande connoiſſance de tous les Arts ; & s’y perfectionoit tous les jours. Il diſoit auſſi, que la connoiſſance des Arts contenoit plus de véritable Philoſophie que toutes -