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& de la Douleur. Liv. II.

Il ne ſent pour cette eſpèce de Bien qu’une pure velleïté, terme qu’on employe pour ſignifier le plus bas dégré du Deſir, & ce qui approche le plus de cet état où ſe trouve l’Ame à l’égard d’une choſe qui lui eſt tout-à-fait indifférente, & qu’elle ne déſire en aucune maniere, lors que le déplaiſir que cauſe l’abſence d’une choſe eſt ſi peu conſiderable, & ſi mince, pour ainſi dire, qu’il ne porte celui qui en eſt privé, qu’à former quelques foibles ſouhaits ſans ſe mettre autrement en peine d’en rechercher la poſſeſſion. Le Deſir eſt encore éteint ou rallenti par l’opinion où l’on eſt, que le Bien ſouhaité ne peut être obtenu, à proportion que l’inquiétude de l’Ame eſt diſſipée, ou diminuée par cette conſideration particuliére. C’eſt une reflexion qui pourroit porter nos penſées plus loin, ſi c’en étoit ici le lieu.

§. 7.La Joye. La Joye eſt un plaiſir que l’Ame reſſent, lorsqu’elle conſidere la poſſeſſion d’un Bien préſent ou futur, comme aſſûré ; & nous ſommes en poſſeſſion d’un Bien, lorsqu’il eſt de telle ſorte en notre pouvoir, que nous pouvons en jouïr quand nous voulons. Ainſi un homme à demi-mort reſſent de la joye lorsqu’il lui arrive du ſecours, avant même qu’il aît le plaiſir d’en éprouver l’effet. Et un Pére à qui la proſperité de ſes Enfans donne de la joye, eſt en poſſeſſion de ce Bien, auſſi long-temps que ſes Enfans ſont dans cet état : car il n’a beſoin que d’y penſer pour ſentir du Plaiſir.

§. 8.La Triſteſſe. La Triſteſſe est une inquiétude de l’Ame, lorsqu’elle penſe à un Bien perdu, dont elle auroit pû jouïr plus long-temps, ou quand elle eſt tourmentée d’un mal actuellement préſent.

§. 9.L’Eſperance. L’Eſperance eſt ce contentement de l’Ame que chacun trouve en ſoi-même lorsqu’il penſe à la jouïſſance qu’il doit probablement avoir, d’une choſe qui eſt propre à lui donner du plaiſir.

§. 10.La Crainte. La Crainte eſt une inquiétude de notre Ame, lorsque nous penſons à un Mal futur qui peut nous arriver.

§. 11.Le Deſeſpoir. Le Deſeſpoir eſt la penſée qu’on a qu’un Bien ne peut être obtenu : penſée qui agit différemment dans l’Eſprit des hommes, car quelquefois elle y produit l’inquiétude, & l’affliction ; & quelquefois, le repos & l’indolence.

§. 12.La Colere. La Colere eſt cette inquiétude ou ce deſordre que nous reſſentons après avoir reçu quelque injure ; & qui eſt accompagné d’un deſir préſent de nous vanger.

§. 13.L’Envie. L’Envie eſt une inquiétude de l’Ame, cauſée par la conſideration d’un Bien que nous deſirons ; lequel eſt poſſedé par une autre perſonne, qui, à notre avis, n’auroit pas dû l’avoir préférablement à nous.

§. 14.Quelles Paſſions ſe trouvent dans tous les Hommes. Comme ces deux derniéres Paſſions, l’Envie & la Colere, ne ſont pas ſimplement produites en elles-mêmes par la Douleur, ou par le Plaiſir, mais qu’elles renferment certaines conſiderations de nous-mêmes & des autres, jointes enſemble, elles ne ſe rencontrent point dans tous les Hommes, parce qu’ils n’ont pas tous cette eſtime de leur propre mérite, ou ce deſir de vangeance, qui font partie de ces deux Paſſions. Mais pour toutes les autres qui ſe terminent purement à la Douleur & au Plaiſir, je croi qu’elles ſe trouvent dans tous les hommes ; car nous aimons, nous deſirons, nous nous réjouiſſons, nous eſperons, ſeulement par rapport au Plaiſir ; au contraire