Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
Des modes du Plaiſir & de la Douleur. Liv. II.

que les Operations des Agents ſont capables du plus & du moins, mais qu’on ne peut concevoir que les Eſſences des choſes ſoient ſujettes à une telle variation : ce qui ſoit dit en paſſant. Continuons d’examiner quelques autres Modes Simples.



CHAPITRE XX.

Des Modes du Plaiſir & de la Douleur.


§. 1.Le plaiſir & la Douleur ſont des Idées Simples.
ENtre les Idées Simples que nous recevons par voye de Senſation & de Reflexion, celles du Plaiſir & de la Douleur ne ſont pas des moins conſiderables. Comme parmi les Senſations du Corps il y en a qui ſont purement indifférentes, & d’autres qui ſont accompagnées de plaiſir ou de douleur, de même les penſées de l’Eſprit ſont ou indifférentes, ou ſuivies de plaiſir ou de douleur, de ſatisfaction ou de trouble, ou comme il vous plairra de l’appeler. On ne peut décrire ces Idées, non plus que toutes les autres idées ſimples, ni donner aucune définition des mots dont on ſe ſert pour les déſigner. La ſeule choſe qui puiſſe nous les faire connoître, auſſi bien que les Idées ſimples des Sens, c’eſt l’Expérience. Car de les définir par la préſence du Bien ou du Mal, c’eſt ſeulement nous faire reflêchir, ſur ce que nous ſentons en nous-mêmes, à l’occaſion de diverſes operations que le Bien ou le Mal font ſur nos Ames, ſelon qu’elles agiſſent différemment ſur nous, ou que nous les conſiderons nous-mêmes.

§. 2.Ce que c’eſt que le Bien & le Mal. Donc les choſes ne ſont bonnes ou mauvaiſes que par rapport au Plaiſir, ou à la Douleur. Nous nommons Bien, tout ce qui eſt propre à produire & à augmenter le plaiſir en nous, ou à diminuer & abreger la douleur ; ou bien, à nous procurer ou conſerver la poſſeſſion de tout autre Bien, ou l’abſence de quelque Mal, que ce ſoit. Au contraire, nous appellons Mal, ce qui eſt propre à produire ou augmenter en nous quelque douleur, ou à diminuer quelque plaiſir que ce ſoit. Au reſte, je parle du Plaiſir & de la Douleur comme appartenant au Corps ou à l’Ame ſuivant la diſtinction qu’on en fait communément, quoique dans la vérité ce ne ſoient que différens états de l’Ame, produits quelquefois par le déſordre qui arrive dans le Corps, & quelquefois par les penſées de l’Eſprit.

§. 3.Le Bien & le Mal mettent nos Paſſions en mouvement. Le Plaiſir & la Douleur, & ce qui les produit, ſavoir, le Bien & le Mal, ſont les pivots ſur lesquels roulent toutes nos Paſſions, dont nous pourrons aiſément nous former des idées, ſi rentrant en nous-mêmes nous obſervons comment le Plaiſir & la Douleur agiſſent ſur notre Ame ſous différens égards ; quelques modifications ou dispoſitions d’Eſprit, & quelles ſenſations intérieures, ſi j’oſe ainſi parler, ils produiſent en nous.

§. 4.Ce que c’eſt que l’Amour. Ainſi, en refléchiſſant ſur le plaiſir, qu’une choſe préſente ou abſente peut produire en nous, nous avons l’idée que nous appelons Amour. Car lorsque quelqu’un dit en Automne, quand il y a des Raiſins, ou au Prin-