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De l’Infinité. Liv. II.

aûne, d’une heure, ou de quelque autre Quantité déterminée, ce n’eſt pas merveille que la nature incomprehenſible de la choſe dont ils diſcourent, les jette dans des embarras & des contradictions perpetuelles, & que leur Eſprit ſe trouve accablé par un Objet qui eſt trop vaſte & trop au deſſus de leur portée, pour qu’ils puiſſent l’examiner, & le manier, pour ainſi dire, à leur volonté.

§. 22. Si je me ſuis arrêté aſſez long-temps à conſidérer la Durée, l’Eſpace, le Nombre, & l’Infinité qui dérive de la contemplation de ces trois choſes, ce n’a pas été peut-être au delà de ce que la matiére l’exigeoit : car il y a peu d’Idées ſimples dont les Modes donnent plus d’exercice aux penſées des hommes que celles-ci. Je ne prétens pas, au reſte, traiter de ces choſes dans toute leur étenduë : il ſuffit pour mon deſſein, de montrer comment l’Eſprit les reçoit telles qu’elles ſont, de la Senſation & de la Reflexion ; & comment l’idée même que nous avons de l’Infinité, quelque éloignée qu’elle paroiſſe d’aucun Objet des Sens ou d’aucune operation de l’Eſprit, ne laiſſe pas de tirer de là ſon origine auſſi-bien que toutes nos autres idées. Peut-être ſe trouvera-t-il quelques Mathematiciens qui exercez à de plus ſubtiles ſpeculations, pourront introduire dans leur Eſprit les idées de l’Infinité par d’autres voyes : mais cela n’empêche pas, qu’eux-mêmes n’ayent eû, comme le reſte des hommes, les prémiéres idées de l’Infinité par la Senſation & la Reflexion, de la maniére que je viens de l’expliquer.


CHAPITRE XVIII.

De quelques autres Modes Simples.


§. 1.
JAi fait voir dans les Chapitres précedens, comment l’Eſprit ayant reçu des Idées ſimples par le moyen des Sens, s’en ſert pour s’élever juſqu’à l’idée même de l’Infinité, qui, bien qu’elle paroiſſe plus éloignée d’aucune perception ſenſible, que quelque autre idée que ce ſoit, ne renferme pourtant rien qui ne ſoit compoſé d’idées ſimples, formez d’idées ſimples qui nous ſont venuës par les Sens, puſſent ſuffire pour montrer comment l’Eſprit vient à connoître ces Modes, cependant en conſideration de l’ordre, je parlerai encore de quelques autres, mais en peu de mots : après quoi, je paſſerai aux Idées plus compoſées.

§. 2.Modes du Mouvement. Il ne faut qu’entendre le François pour comprendre ce que c’eſt que gliſſer, rouler, pirouetter, ramper, ſe promener, courir, danſer, ſauter, voltiger, & pluſieurs autres termes qu’on pourroit nommer, car dès qu’on les entend, on a dans l’Eſprit tout autant d’idées diſtinctes de différentes modifications du Mouvement. Or les Modes du Mouvement répondent à