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De l’Infinité. Liv. II.

claire & poſitive : 2. Que l’idée de quelque choſe de plus grand eſt auſſi claire, mais que ce n’eſt qu’une idée comparative : 3. Que l’idée d’une Quantité, qui paſſe d’autant toute grandeur qu’on en ſauroit la comprendre, eſt une idée purement negative, qui n’a abſolument rien de poſitif : car celui qui n’a pas une idée claire & poſitive de la grandeur d’une certaine Etenduë (ce qu’on cherche préciſément dans l’idée de l’Infini) ne ſauroit avoir une idée comprehenſive des dimenſions de cette Etenduë ; & je ne penſe pas que perſonne prétende avoir une telle idée par rapport à ce qui eſt infini. Car de dire qu’un homme a une idée claire & poſitive d’une Quantité ſans ſavoir quelle en eſt la grandeur, c’eſt raiſonner auſſi juſte, que de dire que celui-là a une idée claire & poſitive des grains de ſables qui ſont ſur le Rivage de la Mer, qui ne ſait pas à la verité, combien il y en a, mais qui ſait ſeulement qu’il y en a plus de vingt. Or c’eſt juſtement là l’idée parfaite & poſitive que nous avons d’un Eſpace ou d’une Durée infinie, lorsque nous diſons de l’un & de l’autre, qu’ils ſurpaſſent l’étenduë ou la durée de 10, 100, 1000, ou de quelque autre nombre de Lieuës ou d’Années, dont nous avons, ou dont nous pouvons avoir une idée poſitive. Et c’eſt là, je croi, toute l’idée que nous avons de l’infini. De ſorte que tout ce qui eſt au delà de notre idée poſitive à l’égard de l’Infini, eſt environné de ténèbres, & n’excite dans l’Eſprit qu’une confuſion indéterminée d’une idée negative, où je ne puis voir autre choſe ſi ce n’eſt que je ne comprens point ni ne puis comprendre tout ce que j’y voudrois concevoir, & cela parce que c’eſt un Objet trop vaſte pour une capacité foible & bornée comme la mienne : ce qui ne peut être que fort éloigné d’une idée complette & poſitive, puiſque la plus grande partie de ce que je voudrois comprendre, eſt à l’écart ſous la dénomination vague de quelque choſe qui eſt toûjours plus grande, que vous retenez en vous-même pour l’appliquer à toutes les progreſſions que votre Eſprit ſera ſur la Quantité, en l’ajoûtant à toutes les idées de Quantité que vous avez, ou qu’on peut ſuppoſer que vous ayiez. Qu’on juge à préſent ſi c’eſt là une idée poſitive.

§. 16.Nous n’avons point d’idée poſitive d’une Durée infinie. Je voudrois bien que ceux qui prétendent avoir une Idée poſitive de l’Eternité, me diſſent ſi l’idée qu’ils ont de la Durée, enferme de la ſucceſſion, ou non ? Si elle n’enferme aucune ſucceſſion, ils ſont obligez de faire voir la difference qu’il y a entre la notion qu’ils ont de la Durée, lorsqu’elle appliquée à un Etre éternel, & celle qu’ils en ont, lorsqu’elle eſt appliquée à un Etre fini : parce qu’ils trouveront peut-être d’autres perſonnes que moi, qui leur faiſant un libre aveu de la foibleſſe de leur Entendement dans ce point, declareront que la notion qu’ils ont de la Durée, les oblige à concevoir, que de tout ce qui a de la Durée, la continuation en a été plus longue aujourd’hui qu’hier. Que ſi pour évi-