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Des Modes Simples de l’Eſpace.. Liv. II.

§. 26. Que ſi les Idées qui ſont conſtamment jointes à toutes les autres, doivent paſſer dès-là pour l’eſſence des choſes auxquelles ces Idées ſe trouvent jointes, & dont elles ſont inſéparables, l’Unité doit donc être, ſans contredit, l’eſſence de chaque choſe. Car il n’y a aucun Objet de Senſation ou de Réflexion, qui n’emporte l’idée de l’unité. Mais c’eſt une ſorte de raiſonnement dont nous avons déja montré ſuffiſamment la foibleſſe.

§. 27.Les idées de l’Eſpace & de la Solidité différent l’une de l’autre. Enfin, quelles que ſoient les penſées des hommes ſur l’exiſtence du Vuide, il me paroît évident, que nous avons une idée auſſi claire de l’Eſpace, diſtinct de la Solidité, que nous en avons de la Solidité, diſtincte du Mouvement, ou du Mouvement diſtinct de l’Eſpace. Il n’y a pas deux Idées plus diſtinctes que celles-là, & nous pouvons concevoir auſſi aiſément l’Eſpace ſans ſolidité, que le Corps ou l’Eſpace ſans mouvement ; quoi qu’il ſoit très-certain, que le Corps ou le Mouvement ne ſauroient exiſter ſans l’Eſpace. Mais ſoit qu’on ne regarde l’Eſpace que comme une Rélation qui reſulte de l’exiſtence de quelques Etres éloignez les uns des autres, ou qu’on croye devoir entendre litteralement ces paroles du ſage Roi Salomon, Les Cieux & les Cieux des Cieux ne te peuvent contenir, ou celles-ci de St. Paul, ce Philoſophe inſpiré de Dieu, leſquelles ſont encore plus emphatiques,[1] C’eſt en lui que nous avons la vie, le mouvement, & l’être, je laiſſe examiner ce qui en eſt à quiconque voudra en prendre la peine, & je me contente de dire, que l’idée que nous avons de l’Eſpace, eſt, à mon avis, telle que je viens de la repréſenter, & entierement diſtincte de celle du Corps. Car ſoit que nous conſiderions dans la Matiére même la diſtance de ſes parties ſolides, jointes enſemble, & que nous lui donnions le nom d’etenduë par rapport à ces parties ſolides, ou que conſiderant cette diſtance comme étant entre les ex-

  1. Act. XVII, veſ. 28. Εν αὐτῷ ζῶμεν, καὶ κινούμεθα, καὶ ἐσμεν. Ces paroles de l’Original expriment, ce me ſemble, quelque choſe de plus que la Traduction Françoiſe, ou du moins elles repréſentent la même choſe plus vivement & plus nettement. C’eſt la réflexion que je fis ſur les paroles de S. Paul dans la prémiere Edition Françoiſe de cet Ouvrage. Je voulois inſinuer par-là qu’on devoit expliquer ces paroles litteralement & dans le ſens propre. M. Locke parut ſatisfait du tour que j’avois pris, qui tendoit en effet à établir ce que M. Locke croyoit de l’Eſpace, & qu’il inſinuë en pluſieurs endroits de cet Ouvrage, quoi que d’une maniére myſterieuſe & indirecte, ſavoir que cet Eſpace eſt Dieu lui-même, ou plûtôt une propriété de Dieu. Mais après y avoir penſé plus exactement, je m’apperçois qu’il y a beaucoup plus d’apparence, que dans ce Paſſage il faut traduire comme ont fait quelques Interprêtes, ἐν αὐτῷ, par lui, C’est par lui que nous avons la vie, le mouvement & l’être, c’est de la Bonté de Dieu que nous tenons la vie, ce grand Bien qui eſt le fondement de tous les autres ; & c’eſt par ſon aſſiſtance actuelle que nous en jouïſſons Cette explication eſt fort naturelle, & s’accorde très bien avec ce que S. Paul venoit de dire dans le même Diſcours d’où ce paſſage eſt tiré, que c’eſt Dieu qui donne à tous la vie, la reſpiration & toutes choſes, αὐτός διδοὺς πᾶσι ζωὴν, καὶ πνοὴν, καὶ τὰ πάντα, ℣. 25. C’eſt d’ailleurs une choſe connuë de tous ceux qui ont quelque teinture de la Langue Grecque que la prépoſition ἐν que S. Luc a employée dans le Paſſage en queſtion ſignifie quelquefois par dans les meilleurs Auteurs, & ſurtout dans le Nouveau Teſtament : ἐλάλησεν ἡμῖν ἐν ὑιῶ, dit S. Paul dans ſon Epitre aux Hebreux, Il nous a parlé par ſon fils, Ch. I. ℣. 1. & dans ce même Chapitre des Actes, ℣. 31. ἐν ἀνδρὶ ᾧ ὥρισε, par l’homme qu’il a deſtiné. Pour ce qui eſt des raiſonnemens purement Philoſophiques que Mr. Locke employe dans ce Chapitre & ailleurs pour établir ſon ſentiment ſur l’exiſtence & les proprietez de l’Eſpace voyez ce qui en a été dit dans ce même Chapitre, §. 16. pag. 125. dans la Note