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De la Retention. Liv II.

enrichi, ſi les impreſſions que les Sens ont accoûtumé de produire ſont en plus petit nombre & plus foibles, & que les facultez que ces impreſſions mettent en œuvre, ſoient moins vives, plus cet homme, & quelque autre Etre que ce ſoit, ſont inférieurs par-là à d’autres hommes, plus ils ſont éloignez d’avoir les connoiſſances qui ſe trouvent dans ceux qui les ſurpaſſent à l’égard de tous ces points. Mais comme il y a en tout cela une grande diverſité de dégrez, (ainſi qu’on peut le remarquer parmi les hommes) on ne ſauroit le démêler certainement dans les diverſes eſpéces d’Animaux, & moins encore dans chaque individu. Il me ſuffit d’avoir remarqué ici, que la Perception eſt la prémiére Opération de toutes nos Facultez intellectuelles, & qu’elle donne entrée dans notre Eſprit à toutes les connoiſſances qu’il peut acquerir. J’ai d’ailleurs beaucoup de penchant à croire, que c’eſt la Perception, conſiderée dans le plus bas dégré, qui diſtingue les Animaux d’avec les Créatures d’un rang inférieur. Mais je ne donne cela que comme une ſimple conjecture, faite en paſſant : car quelque parti que les Savans prennent ſur cet article, peu importe à l’égard du ſujet que j’ai préſentement en main.



CHAPITRE X.

De la Retention.


§. 1.La Contemplation.
LAutre Faculté de l’Eſprit, par laquelle il avance plus vers la connoiſſance des choſes que par la ſimple Perception, c’eſt ce que je nomme Retention : Faculté par laquelle l’Eſprit conſerve les Idées ſimples qu’il a reçuës par la Senſation ou par la Reflexion. Ce qui ſe fait en deux manieres. La prémiére, en conſervant l’idée qui a été introduite dans l’Eſprit, actuellement préſente pendant quelques temps, ce que j’appelle Contemplation.

§. 2.La Mémoire. L’autre voye de retenir les Idées eſt la puiſſance de rappeller, & de ranimer, pour ainſi dire, dans l’Eſprit ces idées qui après y avoir été imprimées, avoient diſparu, & avoient été entierement éloignées de ſa vûë. C’est ce que nous faiſons, quand[1] nous concevons la chaleur ou la lumiére, le jaune, ou le doux, lorſque l’Objet qui produit ces Senſations, eſt abſent ; & c’eſt ce qu’on appelle la Mémoire qui eſt comme le reſervoir de toutes nos idées. Car l’Eſprit borné de l’Homme n’étant pas capable de conſiderer pluſieurs idées tout à la fois, il étoit néceſſaire qu’il eût un reſervoir ou il mît les Idées, dont il pourroit avoir beſoin dans un autre temps. Mais comme nos Idées ne ſont rien autre choſe que des Percep-

  1. Il y a dans l’Original, we conceive, c’eſt à dire, nous concevons. Il n’y a certainement point de mot en François qui réponde plus exactement à l’expreſſion Angloiſe que celui de concevoir, qui ne peut, à mon avis, paſſer pour le plus propre en cette occaſion que faute d’autre.