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ſur les Idées ſimples. Liv II.

l’opinion vulgaire ; mais dans le fond il ſera mal-aiſé de déterminer s’il y a effectivement aucune idée, qui vienne d’une cauſe privative, juſqu’à ce qu’on ait déterminé, ſi le Repos eſt plûtôt une privation que le Mouvement.

§. 7.Idées dans l’Eſprit à l’occaſion des Corps, & qualitez dans les Corps, deux choſes qui doivent être diſtinguées. Mais afin de mieux découvrir la nature de nos Idées, & d’en diſcourir d’une maniére plus intelligible, il eſt néceſſaire de les diſtinguer entant qu’elles ſont des perceptions & des idées dans notre Eſprit, & entant qu’elles ſont, dans les Corps, des modifications de matiére qui produiſent ces perceptions dans l’Eſprit. Il faut, dis-je, diſtinguer exactement ces deux choſes, de peu que nous ne figurions (comme on n’eſt peut-être que trop accoûtumé à le faire) que nos idées ſont de véritables images ou reſſemblances de quelque choſe d’inhérent dans le Sujet qui les Produit : car la plûpart des Idées de Senſation qui ſont dans notre Eſprit, ne reſſemblent pas plus à quelque choſe qui exiſte hors de nous, que les noms qu’on employe pour les exprimer, reſſemblent à nos Idées, quoi que ces noms ne laiſſent pas de les exciter en nous, dès que nous les entendons.

§. 8. J’appelle idée tout ce que l’Eſprit apperçoit en lui-même, toute perception qui eſt dans notre Eſprit lors qu’il penſe : & j’appelle qualité du ſujet, la puiſſance ou faculté qu’il a de produire une certaine idée dans l’Eſprit. Ainſi j’appelle idées, la blancheur, la froideur & la rondeur, en tant qu’elles ſont des perceptions ou des ſenſations qui ſont dans l’Ame : & entant qu’elles ſont des perceptions ou des ſenſations qui ſont dans l’Ame : & entant qu’elles ſont dans une balle de neige, qui peut produire ces idées en nous, je les appelle qualitez. Que ſi je parle quelquefois de ces idées comme ſi elles étoient dans les choſes mêmes, on doit ſuppoſer que j’entens par-là les qualitez qui ſe rencontrent dans les Objets qui produiſent ces idées en nous.

§. 9. Cela poſé, l’on doit diſtinguer dans les Corps deux ſortes de Qualitez. Prémiérement, celles qui ſont entierement inſeparables du Corps, en quelque état qu’il ſoit, de ſorte qu’il les conſerve toûjours, quelques altérations & quelques changemens que le Corps vienne à ſouffrir. Ces qualitez, dis-je, ſont de telle nature que nos Sens les trouvent toûjours dans chaque partie de matiére qui eſt aſſez groſſe pour être apperçuë ; & l’Eſprit les regarde comme inſeparables de chaque partie de matiére, lors même qu’elle eſt trop petite pour nos Sens puiſſent l’appercevoir. Prenez, par exemple, un grain de blé, & le diviſez en deux parties : chaque partie a toûjours de l’étenduë, de la ſolidité, une certaine figure, & de la mobilité. Diviſez-le encore, il retiendra toûjours les mêmes qualitez, & ſi enfin vous les diviſez juſqu’à ce que ces parties deviennent inſenſibles, toutes ces qualitez reſteront toûjours dans chacune des parties. Car une diviſion qui va à réduire un Corps en parties inſenſibles, (qui eſt tout ce qu’une meule de moulin, un pilon ou quelque autre Corps peut faire ſur un autre Corps) une telle diviſion ne peut jamais ôter à un Corps la ſolidité, l’étenduë, la figure & la mobilité, mais ſeulement faire pluſieurs amas de matiére, diſtincts & ſéparez de ce qui n’en compoſoit qu’un auparavant, leſquels étant regardez