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par Senſation & par Réflexion. Liv II.

§. 10.Les Idées ſimples ſont les Materiaux de toutes nos connoiſſances. Voila, à ce que je croi, les plus conſidérables, pour ne pas dire les ſeules Idées ſimples que nous ayions, deſquelles notre Eſprit tire toutes ſes autres connoiſſances, & qu’il ne reçoit que par les deux voyes de Senſation & de Reflexion dont nous avons déja parlé.

Et qu’on n’aille pas ſe figurer que ce ſont là des bornes trop étroites pour fournir à la vaſte capacité de l’Entendement Humain qui s’éleve au deſſus des Etoiles, & qui ne pouvant être renfermé dans les limites du Monde, ſe tranſporte quelquefois bien au delà de l’étenduë materielle, & fait des courſes juſques dans ces Eſpaces incomprehenſibles qui ne contiennent aucun Corps. Telle eſt l’étenduë & la capacité de l’Ame, j’en tombe d’accord : mais avec tout cela, je voudrois bien que quelqu’un prît la peine de marquer une ſeule idée ſimple, qu’il n’ait pas reçuë par l’une des voyes que je viens d’indiquer, ou quelque idée complexe qui ne ſoit pas compoſée de quelqu’une de ces Idées ſimples. Du reſte, nous ne ſerons pas ſi fort ſurpris que ce petit nombre d’idées ſimples ſuffiſe à exercer l’Eſprit le plus vif & de la plus vaſte capacité, & à fournir les materiaux de toutes les diverſes connoiſſances, des opinions & des imaginations les plus particuliéres de tout le Genre Humain, ſi nous conſiderons quel nombre prodigieux de mots on peut faire par le different aſſemblage des vingt-quatre Lettres de l’Alphabet ; & ſi avançant plus loin d’un dégré nous faiſons reflexion ſur la diverſité de combinaiſons qu’on peut faire par le moyen d’une ſeule de ces idées ſimples que nous venons d’indiquer, je veux dire le nombre : combinaiſons dont le fonds eſt inépuiſable & véritablement infini. Que dirons-nous de l’étendue ? Quel large & vaſte champ ne fournit-elle pas aux Mathématiciens ?


CHAPITRE VIII.

Autres Conſidérations ſur les Idées ſimples.


§. 1.Idées poſitives qui viennent de cauſes privatives.
A L’égard des Idées ſimples qui viennent par Senſation, il faut conſiderer, que tout ce qui en vertu de l’inſtitution de la Nature eſt capable d’exciter quelque perception dans l’Eſprit, en frappant nos Sens, produit par même moyen dans l’Entendement une idée ſimple, qui par quelque cauſe extérieure qu’elle ſoit produite, ne vient pas plûtôt à notre connoiſſance, que notre Eſprit la regarde & la conſidere dans l’Entendement comme une Idée auſſi réelle & auſſi poſitive, que quelque autre idée que ce ſoit : quoi que peut-être la cauſe qui la produit, ne ſoit dans le Sujet qu’une ſimple privation.

§. 2. Ainſi les idées du Chaud & du Froid, de la Lumiére & des Ténèbres, du Blanc & du Noir, du Mouvement & du Repos, ſont des idées également claires & poſitives dans l’Eſprit, bien que quelques-unes des cauſes qui les produiſent, ne ſoient, peut-être, que de pures privations dans les Sujets, d’où les Sens tirent ces Idées. Lors, dis-je, que l’Entendement