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L'Idées de la Solidité. Liv. II.

quelle ils ſe meuvent actuellement. C’eſt là une idée qui nous eſt ſuffiſamment fournie par les Corps que nous manions ordinairement.

§. 3.La Solidité eſt differente de l’Eſpace. Or cette réſiſtance qui empêche que d’autres Corps n’occupent l’Eſpace dont un Corps eſt actuellement en poſſeſſion, cette réſiſtance, dis-je, eſt ſi grande qu’il n’y a point de force, quelque grande qu’elle ſoit, qui puiſſe la vaincre. Que tous les Corps du Monde preſſent de tous côtez une goutte d’eau, ils ne pourront jamais ſurmonter la réſiſtance qu’elle fera, quelque molle qu’elle ſoit, juſqu’à s’approcher l’un de l’autre, ſi auparavant ce petit Corps n’eſt ôté de leur chemin : en quoi notre idée de la Solidité eſt différente de celle de l’Eſpace pur (qui n’eſt capable ni de réſiſtance ni de mouvement) & de l’idée de la Dureté. Car un homme peut concevoir deux Corps éloignez l’un de l’autre qui s’approchent ſans toucher ni déplacer aucune choſe ſolide, juſqu’à ce que leurs ſurfaces viennent à ſe rencontrer. Et par-là nous avons, à ce que je croi, une idée nette de l’Eſpace ſans Solidité. Car ſans recourir à l’annihilation d’aucun Corps particulier, je demande, ſi un homme ne peut point avoir l’idée du mouvement d’un ſeul Corps ſans qu’aucun autre Corps ſuccede immédiatement à ſa place. Il eſt évident, ce me ſemble, qu’il peut fort bien ſe former cette idée : parce que l’idée de mouvement dans un certain Corps, ne renferme pas plûtôt l’idée de mouvement dans un autre Corps, que l’idée d’une figure quarrée dans un Corps, renferme l’idée de cette figure dans un autre Corps. Je ne demande pas ſi les Corps exiſtent de telle maniére que le mouvement d’un ſeul Corps ne puiſſe exiſter réellement ſans le mouvement de quelque autre : déterminer cela, c’eſt ſoûtenir ou combattre l’exiſtence actuelle du Vuide, à quoi je ne ſonge pas préſentement. Je demande ſeulement, ſi l’on ne peut point avoir l’idée d’un Corps particulier qui ſoit en mouvement, pendant que les autres ſont en repos. Je ne croi pas que perſonne le nie. Cela étant, la place que le Corps abandonne ne ſe mouvant, nous donne l’idée d’un pur eſpace ſans ſolidité, dans lequel un autre Corps peut entrer ſans qu’aucune choſe s’y oppoſe, ou l’y pouſſe. Lors qu’on tire le piſton d’une Pompe, l’eſpace qu’il remplit dans le tube, eſt viſiblement le même, ſoit qu’un autre Corps vient à ſe mouvoir, il n’y a point de contradiction à ſuppoſer qu’un autre Corps qui lui eſt ſeulement contigu, ne le ſuive pas. La néceſſité d’un tel mouvement n’eſt fondée que ſur la ſuppoſition, Que le Monde eſt plein, mais nullement, ſur l’idée diſtincte de l’Eſpace & de la Solidité, qui ſont deux idées auſſi différentes que la réſiſtance & la non-réſiſtance, l’impulſion & la non-impulſion. Les Diſputes mêmes que les hommes ont ſur le Vuide, montrent clairement qu’ils ont des idées d’un Eſpace ſans Corps, comme je le ferai voir ailleurs.

§. 4.En quoi la Solidité diffère de la Dureté. Il s’enſuit encore de là, que la Solidité différe de la Dureté, en ce que la Solidité d’un Corps n’emporte autre choſe, ſi ce n’eſt que ce Corps remplit l’Eſpace qu’il occupe, de telle ſorte qu’il en exclut abſolument tout autre Corps : au lieu que la Dureté conſiſte dans une forte union de certaines parties de matiére, qui compoſent des amas d’une groſſeur ſenſible, de ſorte que toute la maſſe ne change pas aiſément de figure. En effet, le