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Des Idées qui viennent par un ſeul Sens. Liv. II.

Sens, qui eſt particulierement diſpoſé à les recevoir. Ainſi, la Lumiére & les Couleurs, comme le Blanc, le Rouge, le Jaune, & le Bleu avec leurs mélanges & leurs différentes nuances qui forment le vert, l’écarlate, le pourpre, le vert de mer & le reſte, entrent uniquement par les yeux ; toutes les ſortent de bruits, de ſons & de tons différens, entrent par les Oreilles ; les différens Goûts par le Palais, & les Odeurs par le Nez. Et ſi les Organes ou Nerfs, qui après avoir reçu ces impreſſions de dehors, les portent au Cerveau, qui eſt, pour ainſi dire, la Chambre d’audience, où elles ſe préſentent à l’Ame, pour y produire différentes ſenſations, ſi, dis-je, quelques-uns de ces Organes viennent à être détraquez, en ſorte qu’ils ne puiſſent point exercer leur fonction, ces ſenſations ne ſauroient y être admiſes par quelque fauſſe porte : elles ne peuvent plus ſe préſenter à l’Entendement, & en être apperçuës par aucune autre voye.

Les plus conſidérables des Qualitez tactiles, ſont le froid, le chaud & la ſolidité. Pour toutes les autres, qui ne conſiſtent preſque en autre choſe que dans la configuration des parties ſenſibles, comme eſt ce qu’on nomme poli & rude, ou bien, dans l’union des parties, plus ou moins forte, comme eſt ce qu’on nomme compacte, & mou, dur, & fragile, elles ſe préſentent aſſez d’elles-mêmes.

§. 2.Il y a peu d’Idées ſimples qui ayent des noms Je ne croi pas qu’il ſoit néceſſaire de faire ici une énumeration de toutes les idées ſimples qui ſont les Objets particuliers des Sens. Et on ne pourroit même en venir à bout quand on voudroit, parce qu’il y en a beaucoup plus que nous n’avons de noms pour les exprimer. Les Odeurs, par exemple, qui ſont peut-être en auſſi grand nombre, ou même en plus grand nombre que les différentes Eſpèces de Corps qui ſont dans le Monde, manquent de noms pour la plûpart. Nous nous ſervons communément des mots ſentir bon, ou ſentir mauvais, pour exprimer ces idées, par où nous ne diſons, dans le fond, autre choſe ſinon qu’elles nous ſont agréables, ou désagréables, quoi que l’odeur de la Roſe, & celle de la Violette, par exemple, qui ſont agréables l’une & l’autre, ſoient ſans doute des idées fort diſtinctes. On n’a pas eu plus de ſoin de donner des noms aux différens Goûts, dont nous recevons les idées par le moyen du Palais. Le doux, l’amer, l’aigre, l’âcre, l’acerbe, & le ſalé ſont preſque les ſeuls termes que nous ayions pour déſigner ce nombre infini de ſaveurs qui ſe peuvent remarquer diſtinctement, non-ſeulement dans preſque toutes les Eſpéces d’Etre ſenſibles, mais dans les différentes parties de la même Plante, ou du même Animal. On peut dire la même choſe des Couleurs & des Sons. Je me contenterai donc ſur ce que j’ai à dire des idées ſimples, de ne propoſer que celles qui ſont le plus à mon deſſein, ou qui ſont en elles-mêmes de nature à être moins connuës, quoi que fort ſouvent elles faſſent partie de nos idées complexes. Parmi ces Idées ſimples, auxquelles on fait peu d’attention, il me ſemble qu’on peut fort bien mettre la Solidité, dont je parlerai pour cet effet dans le Chapitre ſuivant.