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rendra le témoignage, non seulement de la loyauté de mon passé, mais de la loyauté absolue de ma conduite depuis trois ans où, sous les supplices, sous toutes les tortures, je n’ai jamais oublié ce que j’étais : soldat loyal et dévoué à son pays. J’ai tout accepté, tout subi, bouche close. Je ne me vante pas, d’ailleurs ; je n’ai fait que mon devoir, uniquement mon devoir. » Il n’y a pas une révolte, pas un cri contre ses chefs. Il n’y a qu’un cri incessant vers la justice, qu’un cri d’amour vers les siens. Et pourtant, la femme de cet homme n’a même plus la permission de voir de ses yeux l’écriture qui lui est chère ; on ne lui en communique que les copies. Et quelles copies ! Les lettres sont tronquées, falsifiées, antidatées. Celles de Mme Dreyfus, dans lesquelles pourtant elle ne met rien de ce qui se passe, ont probablement le même sort. Quel surcroit de misère et quels doutes affreux !

» Il paraît, — le bruit en court et se confirme. — qu’à chaque tentative faite à Paris en sa faveur, le malheureux voit là-bas redoubler la rigueur du châtiment. On l’isole dans une case au milieu de l’île ; on lui bouche la vue de la mer ; les fers lui ont été mis ; sa santé s’altère ; son cerveau s’affaiblit. Le 26 janvier, il écrit qu’il est « presque un agonisant. »

» La femme de cet agonisant demande aujourd’hui comme une grâce ce qui est son droit absolu ; elle supplie qu’on lui permette d’aller partager l’exil amer et cela ne lui est point accordé. Il serait vain pourtant d’invoquer la raison d’État. La défense nationale ne court aucun risque dans une île où toute communication est impossible. On se demande avec angoisse si la raison de ce refus n’est pas toute autre : on craint sans doute